Le monde selon Mavis
Les habitués du parc Lockwell la connaissent. Avec son ami Jean-Paul et son chat « Ti-ti », elle y joue souvent des games de poches les jours où il fait beau. Des fois, des quidams s’arrêtent pour regarder, et même pour jouer un peu avec l’improbable trio. Une pause ludique au soleil. Un temps d’arrêt du « vrai » monde. L’instant d’une incursion dans celui de Mavis.Mavis est née en 1942. Toute sa vie, elle l’a passée sur la même rue à la limite des quartiers Montcalm et Saint-Jean-Baptiste à l’exception de quelques mois où, après avoir été évincés de leur logement, ils sont allés, elle et ses 5 frères et soeurs, sur la rue St-Gabriel.La pauvreté, Mavis, elle connaît. Son père souffrait de glaucomes – ce dont elle souffre aussi – ce qui l’a vite rendu inapte au travail. Mavis a donc dû quitter l’école dès la primaire pour aider sa mère à faire vivre la famille. C’est à ce moment qu’a commencé une vie marquée par les petits boulots et la précarité. Femme de ménage, préposée, journalière, concierge. Elle a tout fait, ou presque.Si vous lui parlez un peu, elle vous racontera comment deux canards domestiques l’accompagnaient, tous les matins, jusqu’à la Leonard School (aujourd’hui le Centre culture et environnement Frédéric Back). Elle vous dira aussi qu’elle a appris à faire des rats ses amis parce que le logement familial en était infesté. De sa voix rauque, elle vous racontera des anecdotes qui vous paraîtront farfelues, mais qui construisent son monde à elle. Ce monde qui fait que, malgré les difficultés, elle a gardé sa capacité d’émerveillement intacte. À 72 ans.En marchant un soir aux abords du parc, il se peut que vous entendiez des applaudissements et des cris d’encouragement venir d’un bloc pas trop loin. C’est Mavis qui écoute les matchs des Capitales – ou des Remparts l’hiver – à la radio. Elle est une fan finie de « ses » équipes sportives locales. Elle ne peut pas les voir en action, en raison de ses problèmes de vue, mais ça n’affecte en rien la ferveur de son soutien pour les joueurs dont elle connaît tous les noms.Même si elle ne dispose pas de grands moyens, elle est toujours prête à donner au suivant. Comme pour Jean-Paul qui, lui aussi, a vécu toute sa vie dans le quartier. Jean-Paul « ne comprend pas tout », comme dit Mavis. Mais il est toujours là pour l’aider à faire ses commissions. Il veille sur elle et elle, sur lui. Parce que c’est ce qu’il faut faire.Mavis s’autoproclame la doyenne du quartier. Elle s’en dit aussi la gardienne de nuit. Pour que les gens y soient en sécurité. Pour que la noirceur dans laquelle elle vit tout le temps fasse moins peur. Elle croit en une solidarité entre habitants. En un lien qui unit ceux et celles qui foulent les mêmes trottoirs.Elle sera toujours contente de vous parler. Elle s’excusera même d’être « presque aveugle » si jamais elle ne vous reconnaît pas tout de suite. Elle vous donnera son numéro d’appartement pour que vous passiez la voir. Elle vous fera confiance. Parce que vous êtes du quartier. Elle n’a pas besoin d’en savoir plus. Parce que ce quartier, c’est sa vie. Son monde.
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