Moi, dans les ruines rouges du siècle : Mensonges et illusions

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La pièce Moi, dans les ruines rouges du siècle est inspirée de la vie de Sasha Samar, un acteur d’origine ukrainienne, émigré au Québec au début des années 1990. Né à l’époque où l’Union soviétique commence à se désagréger, Sasha doit construire son identité dans le contexte de la pérestroïka. Il s’accroche ainsi à des souvenirs et des images qui vont lui permettre de se définir et de se projeter dans l‘avenir malgré une réalité, et une famille, qui lui échappe.

Le jeu des paradoxes

Du courage, il en faut pour jouer dans une pièce qui raconte sa vie personnelle et dans laquelle on incarne son propre rôle. Là se retrouve l’un des forts paradoxes de Moi, dans les ruines rouges du siècle. Mais que serait la pièce si ce n’était pas Sasha Samar qui interprétait son propre rôle ?

Ce point de vue était celui de mon accompagnateur qui ignorait que le comédien était en fait le vrai Sasha. Il s’avéra que son expérience fut partielle, car elle ne lui permit pas d’apprécier les multiples dimensions dans lesquelles s’insérait le jeu du comédien, dont l’usage du français québécois qui agit pour lui, comme un mauvais anachronisme. En définitive, je pense que le spectateur souhaitant vivre l’expérience totale de cette pièce doit absolument connaître ce détail dès le début, car sans cela, la magie ne saurait entièrement opérer.

Se définir malgré des modèles déficients

On ne peut rien reprocher au jeu des comédiens qui donnent une nouvelle vie à des personnages dont on sait qu’ils ont profondément marqué la vie réelle de Sasha Samar. J’ai beaucoup aimé la performance de Pascale Montpetit qui, en mère de famille frivole et aventurière, toute vêtue de rose, symbolisait pour moi la mère idéale que se plait à imaginer et à rechercher le jeune Sacha. Quant au comédien Robert Lalonde, il a su donner vie à ce père, mineur au chômage et amoureux aigri, jaloux et déçu par la vie, mais qui, pourtant, cultive les illusions en créant autour de son fils un univers contrefait. Le gris et le brun de ses habits en disent long sur la façade rustre du personnage qui se révèle à l’occasion sensible et fragile, comme s’il portait sur ses épaules le poids trop lourd d’un héritage familial qu’il cherche à oublier.

Les deux heures que dure la pièce sont heureusement atténuées par les présences énergiques de Marilyn Castonguay et Geoffrey Gaquère, qui nous offrent des performances crédibles et sincères. Amis intimes de Sasha, ils campent aussi avec humour l’astronaute Youri Gagarine pour l’un, et la gymnaste Nadia Comaneci pour l’autre. Leurs présences donnent un rythme à la pièce en entrecoupant des scènes parfois très émotives avec des éléments plus légers.

Parler du monde à partir du Québec

Même si le décor bricolé avec des objets de seconde main se voulait une reconstitution scénographique des intérieurs domestiques tels qu’on pouvait en retrouver en Ukraine, il me fut impossible de faire fi de ces référents québécois qui contribuaient à créer un effet de métissage entre les deux cultures. Par conséquent, j’ai trouvé assez déconcertant de me sentir dans le décor d’une pièce qui aurait aussi bien pu raconter l’histoire d’un fils abandonné par sa mère et élevé par son père dans le Québec des années70, mais dont la trame historique se déroulait plutôt au moment des grands bouleversements ayant marqué le démantèlement de l’Union soviétique.

Cet effet singulier est expliqué par le metteur en scène Olivier Kemeid dans le programme. Car ce n’est pas tant le fait que la pièce se déroule en Ukraine qui est originale que le fait d’en parler à partir du point de vue du Québec : « Nul exotisme de pacotille ici, ni tendance à fuir nos propres tourments, bien au contraire, mais plutôt une envie de mettre en parallèle ce qui, au-delà des âges et des lieux, relève de nos profonds déchirements. »

La pièce est présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 18 avril 2015.

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