Musique et peinture : une symphonie de lumière

L’orchestre symphonique de Québec (OSQ) et le Musée national des beaux-arts de Québec (MNBAQ) proposaient mercredi soir un « hors série » pour le moins inusité dans le cadre de leur première collaboration intitulée Musique et peinture, du Québec à la Russie. Le programme était composé d’une première partie consacrée aux tableaux des peintres québécois Jean-Paul Lemieux, Alfred Pellan, Fernand Leduc et Jean-Paul Riopelle, auxquels avait été associée une sélection de quatre pièces musicales. Des projections vidéo des œuvres, conçues comme de véritables petits films, accompagnaient chaque pièce. La seconde partie reprenait le même concept en présentant la série Tableaux d’une Exposition de Natasha Turovski.

La musique : éternelle source d’inspiration

Il est certain que pour une personne qui aime passer plusieurs heures à regarder et étudier des albums de peintures, le concept proposé par l’OSQ et le MNBAQ était très attrayant, voire totalement séduisant!Si la peinture inspire les musiciens, il arrive également que des peintres se sentent inspirés par la musique qu’ils entendent. Je pense notamment à Nicolas de Staël et à son monumental tableau Le concert peint peu de temps avant sa mort. Certains écrivains possèdent même un sens inné de la musique et de la peinture. Virginia Wolfe n’a-t-elle pas écrit dans son roman Les vagues : « Je tracerais des formes arrondies, à travers lesquelles on verrait la lumière, mais qui demeureraient imprécises. Tout serait vague et indistinct ; et ce qu’on verrait, on l’entendrait aussi. Des sons sortiraient de tels pétales ou de telles feuilles, des sons indissociables de l’image. » Mentionnons tout de même que sa sœur était peintre.

Un programme audacieux

Le choix des œuvres a été fait par Fabien Gabel, chef d’orchestre de l’OSQ. Avant que ne débute le programme musical, le maestro, en compagnie de Line Ouellet, directrice générale et conservatrice en chef du MNBAQ, a pris quelques minutes pour nous présenter les œuvres choisies et nous partager ce en quoi celles-ci l’interpellent.Quant aux projections vidéo réalisées par Mario Villeneuve, elles nous font voyager dans les détails de l’œuvre, dans les gestes du peintre, ses choix de couleurs et de textures, nous rappelant qu’un tableau contient davantage que ce qu’il montre à voir, du moment où nous lui accordons l’attention nécessaire. Ces petits films ont su mettre en valeur les œuvres musicales et picturales. Pour celle de Jean-Paul Riopelle, par exemple, plusieurs gros plans en plongée avaient été filmés. Nous avions ainsi l’impression, tel des cosmonautes, de survoler une planète inconnue à la recherche d’un point où atterrir.

Dans l’œil de la musique

L’idée de créer des liens entre une œuvre et une pièce musicale ajoute une dimension à l’expérience de l’un et de l’autre. Bien que nous soyons dans le registre du ressenti, j’ai eu le sentiment d’avoir accès à quelque chose de plus riche, de vivre une expérience plus complète. La peinture ajoute une dimension tangible à la musique, un peu comme si on lui faisait porter un vêtement. Quant à la musique, elle ajoute une temporalité aux œuvres qui se mettent à exister comme s’il s’agissait de vies humaines avec qui nous interagissions.L’effet magique a fonctionné à chaque fois. Si Le Rapide de Jean-Paul Lemieux file à toute vitesse à travers la campagne, c’est pour se rendre au prochain village où il est attendu. À l’approche de la gare, il lui faut évidemment ralentir, puis mettre la machine au repos pour laisser descendre les passagers et la marchandise, et finalement redémarrer. C’est à tout cela que nous conviait la pièce Pacific 231 d’Arthur Honegger qui lui était associée : une musique « mécanique » qui tentait de traduire l’impression visuel de la machine.Fabien Gabel vise juste à chaque fois : le Jardin bleu d’ Alfred Pellan devint ainsi le théâtre des Gymnopédies de Satie, magnifiquement orchestré par son ami Debussy. Les Portes rouges que Fernand Leduc peint quelques années après qu’il eu signé le Refus global, nous questionne et demeure, encore aujourd’hui, une œuvre énigmatique, tout comme l’est la pièce The Unanswered Question de Charles Ives. Quant à Poussière de soleil de Jean-Paul Riopelle, le compositeur Simon Bertrand nous transporte, avec Gravité, au cœur du processus de création, du néant d’où jailli l’idée au dernier regard sur la toile achevée.

La fille de son père

La seconde partie du concert propose la série de toiles intitulée Tableaux d’une Exposition de la peintre et violoniste d’origine russe Natasha Turovsky, fille de Yuli Turovsky, fondateur de l’ensemble I Musici de Montréal. En 1874, le compositeur Modest Moussorgski eut l’idée, suite au décès prématuré de son ami Victor Hartmann, de créer une suite de pièces inspirées de ses toiles. Ne voulant pas refaire la même série, Natasha Turovski a choisi de mettre l’œuvre d’Hartmann de côté et de se laisser inspirer par le nom des tableaux et l’effet « extrêmement visuelle » de la musique de Moussorgski. Cette deuxième partie a été elle aussi une réussite.Dès la fin du programme, les applaudissements soutenus des spectateurs me confirmèrent rapidement que je n’étais pas la seule à avoir été ensorcelée. Si un rappel avait été prévu, nous en aurions probablement demandé un deuxième.

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