Créée en 1998 par les hommes de théâtre new-yorkais André Grégory et Wallace Shawn, la pièce My Dinner with André est la réplique exacte du film éponyme de Louis Malle datant de 1981. Présentée au Périscope le 1er, 2 et 4 juin 2015, dans le cadre de la 16e édition du Carrefour international de théâtre de Québec, l’œuvre des compagnies tg STAN (Stop Thinking About Names) et de KOE convie le public à du théâtre sans artifice et extrêmement épuré afin de mieux explorer la nature profonde de l’humain.
Sortir du dogme théâtral
Le concept est à la fois simple et efficace : André et Wally, deux anciens collègues et amis de théâtre s’étant perdus de vue pendant quelques années, se revoient à l’occasion d’un souper gastronomique conçu en direct sur la scène. Pour la première soirée de la pièce, les chefs Thania Goyette et Louis Bouchard du Pied Bleu, réputé comme l’une des meilleures tables à travers le Canada, s’affairaient à rassasier nos deux protagonistes. François Blais du Bistro B fera les deux prochaines soirées.
Pendant plus de trois heures, nous assistons à la discussion qui se déroule entre deux hommes de théâtre que tout semble opposer. « Le narcissisme monumental et bavard de l’un n’a d’égal que la mauvaise foi, la truculence et l’appétit de l’autre. » Le premier est un metteur en scène riche et adulé, et le second, un auteur dramatique frustré et fauché.
L’angoisse de vivre
Peter Van den Eede joue André, un être centré sur lui-même qui cherche à calmer ses angoisses existentielles en meublant l’espace d’un flot incessant de paroles. Ce personnage est l’archétype même de l’individu embourbé dans une interminable quête de sens qui ne prendra vraisemblablement fin qu’au jour de sa mort.
Quant à Wally, un auteur dramatique rustre dont les insuccès et l’absence de reconnaissance ont rendu acerbe, il est interprété par Damiaan De Shrijver, haut en couleur. Là où André s’active à réprimer ses angoisses en les projetant sur le monde extérieur, Wally, plus casanier, gère ses inquiétudes quotidiennes en s’employant à satisfaire son besoin de confort. Mais comme l’atteinte de cet état de bien-être exige l’assouvissement de désirs qui se renouvellent sans cesse, l’homme est ainsi condamné à n’être jamais rassasié.
À la recherche du nirvana
On peut voir dans cette pièce une sorte de critique de la société de consommation, cet ordre social et économique qui arrive à transformer une simple couverture électrique en un objet quasi spirituel. Elle rend aussi compte de certains effets découlant du recul de la religion, de la perte de nos repères, de l’éclatement des croyances et des pratiques, bref de multiples facettes de notre quête de sens. Il y a aussi le thème de la relation avec la nourriture qui est omniprésent : combien parmi nous s’y perdent ? Le bonheur de manger et de se sentir rassasier ne nous permet-il pas de ressentir, même si cela ne dure qu’un instant, un état proche de l’absence de désir qu’on appelle nirvana ?
Malgré les trois heures et quelques que dure la pièce, je dois avouer avoir eu beaucoup de plaisir à assister à ce qui fut, pour moi, beaucoup plus qu’une simple conversation entre deux personnages. André-Peter et Wally-Damiaan sont attachants, drôles, et surtout sans artifice.