Novecento, pianiste : la valse des désirs

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La première de la pièce « Novecento : pianiste » avait lieu mardi soir au Théâtre Premier Acte. Il  s’agit du deuxième spectacle du Théâtre de la Trotteuse et celui qui a nécessité un travail de plus grande envergure. La compagnie y propose une relecture du monologue d’Alessandro Baricco pour un comédien, un comédien-pianiste et deux danseuses. Depuis 2012, la pièce a été jouée une cinquantaine de fois, ici et en France. L’enthousiasme du public ainsi que l’intérêt des médias ont encouragé la compagnie à présenter le spectacle sur les routes du Québec en 2015.

Il y a plusieurs années de cela, un ami m’a fait découvrir l’œuvre d’Alessandro Baricco en m’offrant le roman « Océan mer », un livre que je qualifierais d’initiatique, et dont l’histoire est, comme pour la pièce « Novecento : pianiste », portée par les rythmes de la mer. J’ai pour ainsi dire fortement connecté avec la profondeur et la fantaisie de cet auteur et c’est pourquoi j’étais emballée à l’idée d’aller voir le projet du Théâtre de la Trotteuse.J’ai vu plusieurs pièces au Théâtre Premier Acte, et je dois dire que c’est la première fois que l’espace était occupé de cette façon. En allant choisir mon siège, j’entre presque en collision avec l’une des danseuses suspendues au plafond à l’aide d’un harnais et que je n’avais pas vue. Elle se balance lentement, tête tournée vers le bas, pendant que les spectateurs prennent place. Ce premier élément « dansé » m’est apparu dès le départ mal introduit; quoiqu’en sortant de la salle, à la fin de la pièce, je me suis dit que la scénographie d’origine avait peut-être été prévue pour un espace plus grand, je dois avouer qu’il m’a néanmoins dérangée tout le long du spectacle.

Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento

La pièce commence et nous faisons la connaissance de Tim, trompettiste, qui va nous raconter l’histoire de son ami Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento. En Italien, « Novecento » a deux significations : « l’année 1900 » et « le XXe siècle ». Le récit de l’abandon de Novecento nous transporte ainsi au temps de l’émigration européenne de la fin du 19e siècle, notamment celle des Italiens qui, enlisés dans une profonde crise sociale et économique, faisaient la traversée transatlantique dans l’espoir de trouver en Amérique de meilleures conditions de vie.À cet égard, le choix des costumes des comédiens, composé d’un pantalon de toile, chemise blanche, gilet foncé et souliers noirs luisant campait parfaitement le style vestimentaire à la fois soigné et décontracté des Italiens. Je me suis même surprise à voir des ressemblances entre Martin Lebrun (Tim) et l’acteur italien Roberto Benigni.

La valse du piano

La scène de la rencontre entre Tim et Novecento est très forte. Elle se déroule pendant un ouragan. Tim, incapable de rester dans sa cabine où il se sent « fait comme un rat », raconte qu’il errait dans le navire puis tomba sur Novecento marchant comme s’il avait des rails sous les pieds. Arrivé au piano, il demande à Tim d’enlever les cales et de s’asseoir sur le banc avec lui, puis il se met à jouer au rythme de l’instrument qui glisse sur le parquet en suivant le mouvement des vagues. Dans la pièce, cette scène est jouée par les danseuses qui dictent aux deux comédiens des acrobaties imitant la valse du piano et qui voltigent avec eux entre les éléments du décor. Ce moment est très bien orchestré, mais c’est malheureusement le seul où j’ai trouvé que la danse avait été judicieusement exploitée.

Des performances solides

La performance de Martin Lebrun m’est apparue juste et d’un naturel maîtrisé. On sent qu’il habite son personnage, que ce Tim existe véritablement, qu’il est celui qui se tient devant nous sur la scène, en chair et en os. C’est seulement que ce soir, le trompettiste a laissé son instrument dans son étui, car il a une histoire à nous raconter, celle de son ami, et il nous la conte avec beaucoup d’humilité et de sincérité.Simon Dépôt est quant à lui très touchant dans le rôle de Novecento, un être bizarre pour plusieurs, naïf pour d’autres, excentrique sans aucun doute. Aurait-il pu en être autrement? Né sur un bateau, ayant grandi sur la mer, comment ne pas avoir peur de descendre à terre ? « C’est ça que j’ai appris, moi. La terre, c’est un bateau trop grand pour moi. C’est un trop long voyage. » L’interprétation de cet être singulier exigeait une performance d’exception, et c’est ce à quoi nous avons eu droit.

Entre la joie et la fatalité

Écrit en 1994, le texte de la pièce paraîtra finalement en 1997, l’année même de la publication de deux autres œuvres à succès de Baricco : « Soie », adaptée au cinéma en 2007, et « Océan mer ». Françoise Brun, la traductrice française de l’auteur, parlant de l’écriture de ce dernier, dira que « ce qui n’appartient qu’à lui, c’est l’étonnant mariage entre la jubilation de l’écriture, la joie d’être au monde et de le chanter, et le sentiment prégnant d’une fatalité, d’un destin ».C’est donc à tout cela que nous convie la pièce « Novecento : pianiste ». Il est cependant dommage que la danse n’ait pas produit sur moi l’effet escompté.La pièce est à l’affiche jusqu’au 4 avril au Théâtre Premier Acte. Des supplémentaires ont été ajoutées.

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