Tribus : Au commencement était le Verbe
Le Théâtre Périscope nous offre actuellement la pièce « Tribus », une œuvre à la fois introspective, drôle et touchante qui nous transporte sur le chemin parfois très pénible et périlleux de la communication.
L’histoire, écrite par la dramaturge anglaise Nina Raine, et mise en scène par Frédéric Blanchette, gravite autour des tribulations d’une famille de « bobos british » dont le plus jeune fils, Billy (David Laurin), est né sourd. Cependant, dans cette petite tribu conformiste au raffinement désordonné, il a été décidé que Billy communiquerait comme les autres membres de la famille, c’est-à-dire sans le langage des signes.
En plus d’aborder certaines réalités propres à l’éducation d’un enfant qui nait avec un handicap, l’auteur cherche, à travers cette pièce, à démontrer que le vocabulaire traditionnel est imparfait pour communiquer puisqu’il est impossible, pour celui qui s’exprime, de contrôler la façon dont seront reçues ses paroles. Les mots pouvant, en effet, prendre des significations différentes d’une personne à l’autre.
Ma famille à toi
Au cœur de tous les grands problèmes, voire de tous les conflits du monde en général, et de la famille en particulier, se trouverait la communication, que celle-ci soit bonne, juste, fausse, vraie, irrationnelle, polie, indiscrète, criarde ou sourde. Alors, comment peut-on bien communiquer quand le vocabulaire traditionnellement employé est si imparfait, si imprécis et limité ?Pour faire partie de sa famille, pour la comprendre, être comme elle, à son image, ou encore pour être tel que sa famille le conçoit, c’est-à-dire « normal », sans handicap, Billy se voit forcé d’apprendre à lire sur les lèvres et à ne fréquenter que des « entendants ». Mais qui souffre réellement de surdité ici, Billy ou sa famille ?Est-ce celui qui, privé de l’ouïe, s’ouvre néanmoins au mode de communication des autres, ou est-ce plutôt celui qui se referme sur son mode de communication en rejetant celui des autres? Cela reviendrait à dire que le sourd n’est pas nécessairement celui qui n’entend rien, mais plutôt toute personne qui n’est pas ouverte et à l’écoute des autres. En ce sens, la famille à Billy est beaucoup plus sourde qu’il ne l’est lui-même.
Chasser le naturel…
À travers des personnages colorés, je dirais même violemment incarnés, le banal-ordinaire de la famille nous est révélé dans toute sa puissante destruction. Les tensions sont multiples au sein de la famille-tribu qui nie en quelque sorte l’affirmation d’individualité. L’élan d’émancipation de Billy sera même durement attaqué, tantôt par Christopher, le père insolent (Jacques l’Heureux), qui préfère apprendre le mandarin au langage des signes, ou par Daniel, le frère schizophrène (Benoît Drouin-Germain) – ou bipolaire, on ne sait trop – qui tentera de le retenir dans le giron familial en séduisant Sylvia (Caroline Bouchard), sa nouvelle première blonde avec qui il veut aller vivre.La notion de tribu utilisée ici pour orienter notre compréhension du drame familial auquel nous assistons m’apparaît renvoyer à l’imaginaire pré-moderne d’un mode de vie prétendument plus « naturel » que celui de nos états actuels. Comme si la famille « dysfonctionnelle » serait en réalité le seul vrai modèle de famille qui fonctionne, un modèle perpétuant l’idéologie sociale millénaire de la tribu, que notre culte de l’individualisme tenterait de combattre, en vain (vous comprendrez ici que la pièce a un peu fait réfléchir l’ethnologue en moi).« Tribus » est la troisième pièce produite par LAB87, une compagnie de production théâtrale fondée en 2009. Née du désir d’établir un pont durable avec la dramaturgie anglo-saxonne émergente, son mandat premier est de produire et de diffuser un théâtre contemporain innovateur et accessible. Avec cette pièce, nous pouvons leur dire «mission accomplie ! »La pièce est à l’affiche jusqu’au 31 octobre au Théâtre Périscope
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