L’orangeraie – L’enfance de la guerre

Il n’est pas facile de parler de L’orangeraie de Larry Tremblay, une fable contemporaine lourde où les personnages, en apesanteur entre deux pays inventés, vibrent dans l’espace universel. Claude Poissant est celui qui donne vie à cet ailleurs à la fois proche et lointain, où se confond le monde des enfants et celui des adultes.
Même deux semaines après y avoir assisté, je ne sais encore comment en parler. J’oscille entre une pulsion qui me pousse à vouloir décrier l’aberration humaine que dépeint l’histoire, ma répugnance à vouloir en parler, et le fait que je me sente en partie incompétente à m’exprimer sur une réalité qui me choque et me dépasse.
Résumer cette pièce à un conflit armé hostile entre États ou Nations me parait tellement réducteur, car cette « maladie convulsive et violente du corps politique » (Diderot) est aussi en nous. Ne disons-nous pas que nous sommes en conflit intérieur quand nous luttons contre ce qui nous arrive ou contre nous-mêmes ? N’avons-nous pas tendance à nous faire violence ou encore à nous en prendre aux autres quand ce qui nous habite nous fait souffrir ?
Cette pièce a fait mal à mon humanité.
J’ai beau chercher à identifier et à comprendre objectivement les détournements de l’esprit et du cœur pouvant amener des adultes à recruter des enfants dans leurs actions guerrières, je n’y perçois qu’un flot incommensurable de souffrance. Il faut sans doute plusieurs traumatismes affectant plusieurs générations pour en arriver à créer des « monstres » ne reconnaissant aucune valeur à l’enfance.
En effet, comment peut-on demander à un enfant de huit ans d’accepter de mourir pour une cause alors qu’il ne possède pas la maturité nécessaire pour comprendre la situation ? Ce n’est plus de guerre dont il est question ici, mais de manipulation, de tromperies et d’abus de confiance exercés sur des enfants par des adultes dérangés.
Mais plus encore, comment une culture (religieuse ou autre) peut-elle en arriver à créer des enfants qui acceptent docilement de mourir en tuant d’autres personnes ? Cette situation est celle que vit Amed (Gabriel Cloutier-Tremblay, vibrant) et Aziz (Sébastien Tessier), des frères jumeaux, à qui Soulayed (Jean-Moïse Martin, juste dans son personnage vil) demandera à l’un des deux de porter la ceinture explosive. Celui qui survit à l’autre ne sera plus que la moitié de lui-même.
Pour dépasser son deuil et sa culpabilité, ce dernier sera notamment aidé par Mikaël (Vincent-Guillaume Otis), professeur et metteur en scène, ainsi que par son oncle (Mani Soleymanlou) qui, l’accueillant chez lui, lui fera voir une réalité différente. Ces derniers l’aideront à affronter les démons de son enfance.
C’est un long moment de silence que commande cette pièce. Ce moment est nécessaire pour que son message, si difficile à entendre, se laisse apprivoiser.
Pour terminer, j’ajouterais que L’orangeraie a une facture très « internationale », faisant en sorte qu’elle pourra aisément s’exporter. Cependant, j’aurais aimé que le registre de langue utilisée, notamment par Vincent-Guillaume Otis, ait une couleur plus locale, donc plus québécoise. Mais il s’agit vraiment du seul petit bémol.
Vous avez encore jusqu’au 21 mai pour aller voir L’orangeraie, la dernière pièce de la saison 2015-2016 du Trident !