Le Jeu – volutes vers le soubresaut
Avec la pièce, Le Jeu, présentée à Premier Acte, tout doucement, nous pénétrons dans une forêt de conifères. Ô, l’odeur envoûtante des sapins, haut-fort sentimental au pouvoir apaisant!
Devant nous, une phrase de Margaret Atwood: « Men are afraid that women will laugh at them. Women are afraid that men will kill them. »Les femmes, formant les trois-quarts de l’assistance, sont assises d’un côté tandis que les hommes sont invités à prendre place de l’autre; les deux sexes se font face. Pour ma part, comme le « côté féminin » est plein, je m’assois du «côté masculin». État de grâce, je le constaterai, car cela me permettra de voir, comme dans un miroir, tout au long de la pièce, les ressentis et les réactions non-verbales des femmes.Une mise en contexte banale : Samuel et Pascale s’isolent en pleine forêt dans un chalet pour une semaine. Un jeune couple d’un an à peine, mais qui déjà soulève le questionnement quant à sa pérennité potentielle.Puis, le jeu. « Salut! Je m’appelle Sarah! » De ce pas, les amoureux se transforment au gré de leur fantaisie du moment, adoptent des personnages qui sont plus ou moins loin de leur nature profonde, pour essayer, pour le trip. Puis, on frappe à la porte.Le jeu perdure, et les sous-entendus fusent. Dans l’assistance, le malaise croît; nous nous demandons jusqu’où ça va aller, si ça ne va pas trop loin, si ça va mal finir.L’énergie brute des bois s’oppose à l’énergie citadine, et le prédateur à sa proie. Dès lors, Le Jeu nous pousse dans des retranchements qui glacent le sang, parce qu’il nous ramène à nos propres appréhensions, nos propres peurs, certains souvenirs aussi, possiblement, pour certain(e)s.Je ne fleure plus le sapin, je perçois mon pouls qui bat dans mes tempes.Vous êtes une femme, vous êtes seule avec deux hommes dans un chalet au fond des bois, quelle est votre première inquiétude? Quelle pensée chassez-vous du revers de la main, tout en étant consciente que cela vous a tout de même traversé l’esprit, ne serait-ce qu’une fraction de seconde? Soyez honnête.Sous le regard inquiet des femmes de l’assistance, en voyant leurs yeux s’agrandir, leurs lèvres se pincer, leur mains, parfois, se tordre, leur souffle court, j’ai compris que nous toutes, les femmes, avions la même crainte, la même pensée. Et le même espoir qu’il ne lui arrive rien, qu’il ne nous arrive rien, sur ce sentier de neige, en pleine noirceur, isolé.À quel point nous sentons-nous en sécurité, lorsque nous marchons seules le soir? À quel point les femmes se sentent-elles oppressées, soumises, dominées, pétrifiées par la vindicte masculine potentielle, réelle ou imaginaire? La société, depuis la nuit des temps, sème-t-elle la graine de la méfiance au creux de l’inconscient des femmes? Contribuons-nous à cette perpétuation de la victimisation? Marcher tête haute, confiantes, empêcherait-il les attaques ou, au contraire, attiserait-il le feu?La mise en scène, précise et crue, de Danielle Le Saux-Farmer et Maxime Robin, et les textes de Pascale Renaud-Hébert, qui suscitent la réflexion, sont à couper le souffle. Les comédiens y offrent une prestation d’une justesse inouïe.Sarah Villeneuve Desjardins, nymphe double, est d’une crédibilité désarmante. Samuel Corbeil, dont le regard passe du clair au noir, incarne avec brio l’amoureux qui lâche la bride à un courroux au pouvoir redoutable. Marc-Antoine Marceau y est déconcertant, et la jobarderie singulière de son personnage nous donne froid dans le dos.J’en suis venue à me demander à quel endroit pourraient bien se tapir des personnes telles que les personnages de Marco et de Samuel, capables de transgresser les limites implicites avec, pour le premier, autant de naïveté que d’indolence et, pour le second, un coyote latent au fond du cœur.La pièce Le Jeu est présentée jusqu’au 4 février 2017, au théâtre Premier Acte.
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