Sur un texte de Michel Tremblay d’une intensité exceptionnelle, Le vrai monde?, la première pièce de la saison du Théâtre du Trident, laisse son public sans voix.
Le vrai monde? : la désillusion d’une vie flétrie
Sur un texte de Michel Tremblay d’une intensité exceptionnelle, Le vrai monde?, la première pièce de la saison du Théâtre du Trident, laisse son public sans voix.
Rien ne laisse de prime abord deviner que nous serons les otages d’un drame puissant. Des lumières bleutées sur des fenêtres closes, un salon comme les autres, quiet. Maison typique des années 1960.
D’une part des roses poussant dans une droiture solitaire, de l’autre trop de bouteilles vides éparses. La salle est comble et nous sommes tous guillerets de pouvoir à nouveau nous laisser transporter par la magie du théâtre.
Entre le turbulent bouleversement intérieur d’un jeune auteur en pleine transe inspiratrice et une forme de saccage de volatiles, je me cale au fond de mon siège; je suppose dès les premiers instants que se cache sous ces métaphores aux allures de tranquillité quelque chose de saisissant.
Nancy Bernier et Anne-Marie Olivier, magnifiques, interprétant à elles deux Madeleine, rendent plus que crédible cette mère sclérosée dans une vie d’apparences, refusant de s’exprimer pour préserver sa famille, préférant déglutir le mal-être qui l’étouffe.
Avoir le courage de dissiper le sinistre sera l’apanage de son fils Claude, splendidement interprété par Jean-Denis Beaudoin. Prêtant enfin une langue franche à sa mère, se servant de ce moyen pour régler ses comptes avec son père, il dénoncera l’injustice et les rêves dissolus d’une vie matrimoniale et familiale inconsistante, éthérée, exsangue, et la solitude dont ils ont tous souffert dans la composition d’une pièce de théâtre. Émouvant dans sa détresse lancinante et sa tentative d’amorcer le dialogue, il laissera l’agrégat de ses meurtrissures s’extirper en éclaboussures sur son père, d’abord par l’écriture, puis par un cri du cœur aussi incisif que mérité.
Femme humiliée, capitonnée dans une frise de secrets, emboutie de faux-semblants, la vraie Madeleine, éperdue, reconnaîtra dans les paroles de la Madeleine de la pièce son véritable ressenti : « J’aurais aimé le crucifier avec un sens de la répartie que je n’ai jamais eu! »
Christian Michaud et Jean-Michel Déry interprètent tour à tour extraordinairement le père détestable, borné, égocentrique, misogyne, complaisant, ayant détruit sa famille dans le déni le plus total, qui nous tire des soupirs, des grincements de dents et des envies de gifle.
Doit-on sacrifier sa vie pour le bien-être de sa famille? De la tempête intérieure, de la colère refoulée, que reste-t-il? Un silence meurtrier, de ceux qui tuent tout espoir en annihilant le courage.
Troublante, touchante, hypnotisante, percutante, cette pièce saura ravir les amateurs de suspenses et de drames psychologiques.
Dans une mise en scène osée de Marie-Hélène Fecteau et Émile Beauchemin ainsi qu’une scénographie surprenante d’Ariane Sauvé, la pièce Le vrai monde? est présentée au Théâtre du Trident jusqu’au 13 octobre 2018.
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