Journaliste, écrivaine, chroniqueuse et animatrice de balado, Nora Loreto est arrivée à Montcalm en 2012, au milieu des manifestations étudiantes. Fière Montcalmoise, elle raconte son parcours pour allier le journalisme et ses convictions.
Nora Loreto : « On est vraiment des Montcalmois »
Journaliste, écrivaine, chroniqueuse et animatrice de balado, Nora Loreto est arrivée à Montcalm en 2012, au milieu des manifestations étudiantes. Fière Montcalmoise, elle raconte son parcours pour allier le journalisme et ses convictions.
Dès l’enfance, une vocation journalistique
C’est par hasard que Nora Loreto est parachutée à Québec, en 2012. Son partenaire, en recherche d’emploi, avait déposé une centaine de candidatures à travers le monde. C’est à Québec que se présente une opportunité. Ils déménagent alors d’Ontario. Ni l’un ni l’autre ne parle français.
Auparavant, Nora Loreto a grandi en Ontario, à Georgetown, avec des parents professeurs d’anglais et bibliothécaires. À cinq ans déjà, elle réalisait déjà des petits journaux. Sans journaliste dans la famille, l’univers des lettres de ses parents, dans lequel elle a baigné, a pu l’orienter vers cette voie.
Au moment des études, sa route s’est poursuivie à Toronto à la Ryerson University, en journalisme. En parallèle de ses études à temps partiel, Nora Loreto s’est impliquée dans le mouvement syndical étudiant, la Fédération canadienne des étudiant.e.s. Elle est aussi devenue rédactrice en chef du Ryerson Free Press. C’est là qu’a émergé le défi au cœur de sa vie : concilier le militantisme et le journalisme.
À l’occasion d’un portrait qu’elle devait réaliser pour un cours, au lieu d’un proche, elle a choisi June Callwood, pionnière en journalisme, dans sa branche féministe et militante.
Une arrivée pendant les mouvements étudiants
Pour venir à Québec, Nora Loreto quitte son poste de rédactrice en chef au Ryerson Free Press. Elle ne parle pas français, n’a ni famille ni amis sur place.
« C’était drôle, car avec le mouvement étudiant, il n’y avait pas beaucoup de lieux où je n’avais aucun lien, aucun contact, mais Québec était l’une de ces villes. C’était drôle, car j’ai travaillé à Québec comme guide touristique pour les étudiant.e.s de l’Ontario, mais je faisais le voyage avec eux, chaque semaine. »
Le jour de son déménagement, le 22 juin 2012, elle arrive en pleine manifestation étudiante. Elle s’y greffe immédiatement.
Ce même été, avant d’obtenir le droit de vote au Québec, elle s’implique aux côtés de Québec Solidaire à l’occasion des élections. C’est au cœur de ces mobilisations politiques qu’elle a « vraiment appris le français ».
Une vraie Montcalmoise
Nora Loreto recherche du travail et contacte Radio-Canada Québec : pas de réponse. Elle trouve finalement un travail, en ligne, avec l’Association canadienne de la presse syndicale, pour former des syndicalistes aux relations presse.
C’est là qu’elle décide de se « bâtir une vie de pigiste ». Elle y écrit « comme en exil » d’un monde où elle se sent plus confortable. Son soutien, elle le trouve dans le cercle militant francophone et chez quelques ami.e.s anglophones.
« Mes amis sont un bon mix de Québécois, je suis aussi proche du mouvement des personnes marginalisées, ceux qui organisent des Vigiles chaque année. La plupart des anglophones que je connais sont des Américains, ou d’Écosse. Je ne me sens pas vraiment faire partie de la communauté anglophone, mes amis viennent de partout dans le monde. »
« On est vraiment des Montcalmois », ajoute-t-elle en souriant. Avec ses enfants à l’école dans le quartier, elle passe beaucoup de temps avec les autres parents.
Depuis son arrivée en 2012, la petite famille a fait le choix de rester dans Montcalm. « On adore ça, on vit sans auto, c’est difficile d’avoir des jumeaux sans auto, mais moins difficile en Haute-Ville », précise Nora Loreto.
Un vécu un peu différent
Son regard sur Québec s’est nourri de son enfance en Ontario et de ses amis de différentes origines à Québec. Selon Nora Lorato, les réalités vécues à Québec par les nouveaux arrivants ne sont pas les mêmes que celles des Québécois de longue date.
« Je pense que la grande majorité des personnes qui habitent à Québec, leur vie se passe à Québec, leurs amis, leur travail. Ils vont peut-être à Montréal ou en Gaspésie, mais leur vie se passe ici. Pour des personnes comme moi, nos vies se passent ailleurs. Même si on est collés à Québec, nos vies se passent dans une autre langue, nos familles ne sont pas ici. Ça divise l’expérience dans cette ville. Mais on peut vivre dans une ville comme un étranger et se sentir confortable avec ça. »
Dans ce grand village qu’elle aime tant, elle invite à l’écoute, l’échange, pour un meilleur vivre-ensemble :
« C’est facile de marginaliser du monde […]. Il faut qu’on prenne conscience de ce monde qui ne vient pas d’ici. C’est nous, qui venons d’ailleurs, qui ajoutons une richesse dans les quartiers. On peut dire qu’un tramway, c’est pas la fin du monde. […] C’est important de créer des espaces d’écoute où on peut vraiment échanger sur les enjeux. C’est une ville historique et on a une obsession historique : j’adore ça. Je lis tous les articles historiques sur Montcalm, mais il faut aussi laisser de la place… », confie Nora Loreto.
Trouver l’équilibre entre journalisme et activisme
Depuis plusieurs années, la question du rôle des journalistes s’impose dans les rangs de la profession. À la question de savoir comment Nora Loreto jongle entre ses valeurs politiques et son travail, elle répond :
« Mes valeurs politiques sont basées sur des conditions matérielles, ce qui est vrai dans la vie, l’économie, la vie politique, la société. C’est être critique de l’action des politiques, des profits que les patrons de business cherchent avant tout. Donc pour moi, je suis militante, avec des valeurs socialistes. Chaque fois que j’écris une chronique, j’essaye de me convaincre que j’ai le plus raison possible. En essayant de me convaincre, j’essaye de convaincre les autres. »
À la suite d’un tweet qu’elle écrit en 2018, une polémique éclate et le harcèlement de l’extrême droite s’organise. Deux jours plus tard, le journal Maclean’s, dément par communiqué la collaboration avec la journaliste indépendante et la congédie publiquement.
« Les compagnies de médias vont aimer les personnages brillants, colorés, mais la seconde que tu dis la chose de trop, même si ça fait partie de ta brand, c’est terminé. »
Il lui faudra des mois d’argumentation pour réussir à passer son message. Mise sur liste noire par plusieurs médias, elle commence à collaborer avec le Washington Post et le National Observer.
Un féminisme intersectionnel et de lutte
Pour Nora Loreto, si on ne parle pas du lien entre féminisme et réseaux sociaux, on passe à côté de la manière dont le terme a changé, notamment concernant les dénonciations.
« Le féminisme, ça doit être un verbe, une action qui lutte contre ceux et celles qui ont le pouvoir, pour celles et ceux qui n’ont pas le pouvoir. Ça veut dire que le féminisme doit avoir le focus sur les plus marginalisées, les femmes autochtones, les personnes non genrées, les personnes racisées et les violences qui leur sont faites : économiques, politiques et physiques. Si on pense que le féminisme est une étiquette, ça nous mène nulle part. C’est d’ailleurs une étiquette que prend notre Premier Ministre. »
Dans son livre, Take Back the Fight: Organizing Feminism for the Digital Age, Nora Loreto fait appel à une génération qui a grandi avec les réseaux sociaux pour soulever la nécessité « d’organiser des choses en personnes, de faire des rencontres, rencontrer hors des frontières provinciales et débattre ».
Un balado politique
En plus de ses livres et articles, Nora Loreto produit et réalise une série balado hebdomadaire, Sandy and Nora Talk Politics, avec son ancienne collègue de bureau Sandy Hudson.
Comment choisissent-elles leurs sujets? « On choisit les sujets deux secondes avant de hit record; on ne prépare pas », répond Nora. C’est la complicité des deux journalistes et leur capacité à « parler de tout » qui séduit leur auditoire.
Les failles de la gestion de la pandémie
Tout au long de la pandémie, Nora Loreto a recensé les morts de la COVID-19 dans les CHSLD. Auparavant, elle avait déjà réalisé un travail de journalisme de données, mais sur les morts causées par le milieu de travail ou les dons politiques.
« Si je peux pas travailler dans un hôpital, dans un CHSLD, j’ai des compétences pour clarifier, expliquer ce qu’il s’est passé et ce qu’on va se rappeler de cette période du temps. Moi, j’ai été marquée par la grippe espagnole et comment elle a touché ma famille. J’ai des histoires que j’ai entendues, mais presque tout avait disparu là-dessus. »
Quand elle cherchait des chiffres sur la pandémie, elle voyait que des données manquaient. Si les grands médias ne font pas ce travail, selon elle, « il serait impossible de savoir le nombre de morts dans une institution ».
Reste qu’il lui était difficile « de voir que des gens étaient morts à cause des décisions politiques, des décisions de la Santé publique », ajoute Nora Loreto. Pour la remercier de son travail d’intérêt public, ses lecteurs ont organisé une collecte de fonds. Ils ont recueilli plus de 30 000 $.
Personnes handicapées mortes dans les résidences, décès liés au milieu du travail, personnes décédées de la COVID-19 et infectées à l’hôpital : voilà des nouvelles essentielles qu’elle a livrées. Toutefois, sa « position dans les marges » fait que les médias ignorent son travail, dit Nora Loreto. Malgré ce silence, plus d’une cinquantaine de confrères et consœurs l’ont contactée, en privé, pour des éclaircissements sur ses données.
Son prochain livre, sur la pandémie, Spin Doctor: How Politicians and Journalists Misdiagnosed COVID-19 Pandemic, doit paraître cet hiver.
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