De Montcalm à la colline : la course d’Antoine Robitaille

Des journalistes en chair et en os vivent dans nos quartiers. C’est sur le territoire de Monmontcalm qu’a grandi et que vit aujourd’hui le chroniqueur politique Antoine Robitaille. À Québec et à Montréal, il a porté, depuis ses débuts, différents chapeaux dans plusieurs entreprises médiatiques, souvent un par-dessus l’autre.

De Montcalm à la colline : la course d’Antoine Robitaille | 23 avril 2022 | Article par Suzie Genest

Crédit photo: Suzie Genest

Des journalistes en chair et en os vivent dans nos quartiers. C’est sur le territoire de Monmontcalm qu’a grandi et que vit aujourd’hui le chroniqueur politique Antoine Robitaille. À Québec et à Montréal, il a porté, depuis ses débuts, différents chapeaux dans plusieurs entreprises médiatiques, souvent un par-dessus l’autre.

Assis dans son bureau de la rue Louis-Alexandre-Taschereau sur la colline parlementaire, Antoine Robitaille dit entretenir « un rapport amoureux » avec le quartier Montcalm.

« Moi, je viens du quartier Saint-Sacrement, en fait. J’ai grandi sur la rue de Callières, je suis un petit bourgeois de la Haute-Ville, indécrottable. J’ai migré vers l’est en vieillissant, après quelques détours. J’adore le quartier Montcalm. Ça me permet de venir, depuis 16 ans, soit à pied soit à vélo, même en raquettes! Une fois, j’étais venu en raquettes de course! Je suis un peu tannant avec ça, car j’ai découvert le sport il y a 10 ans. Je suis un converti, fatigant, je parle tout le temps de ça. »

Il s’est même entraîné pour le Marathon de Boston, le matin avant d’arriver à son bureau, profitant ensuite de la douche sur place. « C’est extraordinaire d’avoir un bureau comme ça, j’ai des vêtements de rechange! », s’exclame-t-il, ouvrant la porte d’un rangement, avec un grand rire.

« Je fais beaucoup de ski de fond aussi. C’est fou, je suis un lève-tôt, et juste avant d’aller travailler, je vais faire 15 km sur les plaines en skis de fond. Je reviens les joues rouges, je pète d’énergie. Le quartier Montcalm, pour ça, c’est incroyable. Son mélange d’histoire et de commodités, de vie plus à l’européenne… »

Commencer par la fin

Outre un cours sur les médias à la maîtrise en sciences politiques, Antoine Robitaille n’a pas étudié en journalisme. C’est au début des années 1990, avec l’arrivée de Voir Québec, où il signait des articles d’actualité, qu’a débuté sa carrière journalistique. Il a par la suite déménagé à Montréal et collaboré à la pige à Voir Montréal. « Mon patron, c’était Richard Martineau! », lance-t-il en souriant. La bougeotte l’a vite repris. « C’est l’histoire de ma vie : aller à Montréal, rester un peu puis revenir à Québec. Je suis revenu à Québec deux fois. »

À son deuxième retour, il a enseigné au Petit Séminaire de Québec, où il avait fait son cégep. Il n’est pas resté longtemps loin de l’information.

« Je me suis mis à collaborer au Devoir. Je faisais des actualités culturelles. Et très rapidement, on m’a offert la chronique des essais, dans le cahier des livres. Je me suis mis à faire par-dessus des grands entretiens. J’ai commencé avec un journalisme qui est plutôt un journalisme de fin de carrière. J’ai commencé avec les livres, puis les grands entretiens. »

Chatouillé par l’envie de connaître « le journalisme d’action, le journalisme du quotidien, le reportage », Antoine Robitaille a fait un stage à La Presse en 1997. En 2002, il s’est de nouveau installé à Montréal, la collaboration à La Presse s’est poursuivie. Il précise : « Mais tout ce temps-là, j’étais chroniqueur au Devoir, aux livres. » Même durant son stage à La Presse?

Publicité

« Hey, je le sais! C’est l’histoire de ma vie! Je suis encore “bi”, d’ailleurs. Je fais encore du Le Bigot, même si je suis à QUB. »

« Pour simplifier », résume-t-il, après dix années à la pige, Antoine Robitaille est devenu reporter au municipal à Montréal en 2004. Puis, le départ de Tommy Chouinard pour La Presse a ouvert un poste au Devoir à Québec. M. Robitaille s’y est stabilisé, dès 2005, pour douze ans. Les sept premières années, il y a été reporter; les cinq autres, éditorialiste.

« Tout ce temps-là, j’ai fait de la radio, pendant 10 ans, au 98,5 FM et à Radio-Canada! Vous savez pourquoi? Parce que moi, j’ai une mentalité de pigiste. J’ai été 10 ans pigiste, je suis de la génération X. Dites-moi surtout pas que je suis un boomer! C’est rendu que les gens ne voient pas de différence. Hey, je ne suis pas un boomer! Je me suis battu contre les boomers. Ils m’ont empêché d’avoir un job stable dès le début de ma carrière! »

Ce n’est pas tout. Pendant ses années au Devoir, il a aussi distribué le journal de porte en porte, comme camelot. Et il en a parlé dans une chronique.

Politique et philo

Au Devoir, Antoine Robitaille a aimé tout particulièrement être reporter politique.

« C’est le plus beau métier, je pense, dans le journalisme. C’est drôle hein? C’est extraordinaire. Mais en parallèle… J’avais été journaliste intello au départ, j’avais besoin de garder le lien avec ça. Je ne pouvais pas faire beaucoup de chroniques littéraires. Je n’avais pas beaucoup de temps, il fallait que je lise des rapports plus que des essais. »

De ce besoin est né Le Devoir de philo. Au départ, l’idée d’Antoine Robitaille s’est butée à des réticences. Il a trouvé des arguments au ministère de l’Éducation du Québec.

« Il y a des centaines de milliers de jeunes qui font de la philo chaque année. On veut développer le jeune lectorat, c’est une bonne occasion. Les profs vont aimer qu’on valorise la philo dans le journal, ils vont parler du Devoir. »

Le projet lancé en 2006 devait durer 15 semaines : le rédacteur en chef croyait qu’il aurait « fait le tour assez vite ». Il se poursuit toujours.

Un jour, Antoine Robitaille a « traversé le couloir » de l’édifice sur la rue Louis-Alexandre-Taschereau vers les bureaux de Québecor. On lui offrait alors d’être chroniqueur politique et chef du bureau d’enquête à l’Assemblée nationale.

Antoine Robitaille dans son bureau
« Les chemins qui m’ont amené au journalisme? C’est compliqué! »
Crédit photo: Suzie Genest

« As-tu vérifié? »

Passionné des enquêtes mais pris dans la course aux textes du quotidien, M. Robitaille a trouvé comment y « imbriquer » des projets au long cours. Des congés avec ou sans solde « et la passion » lui ont permis de s’investir, avec des collègues journalistes et des réalisateurs, dans des grandes enquêtes. Des livres et documentaires en ont émergé.

Il y a eu notamment « le documentaire sur le front de libération du Québec et l’assassinat de Mario Bachand », Le dernier felquiste.

Il s’est aussi attaqué à l’enquête Mâchurer de l’Unité permanente anticorruption, avec une équipe, ce qui a donné un livre. L’équipe comptait Alexandre Robillard, issu de La Presse Canadienne, les reporters d’expérience Robert Plouffe, Annabelle Blais, Jean-Nicolas Blanchet, énumère M. Robitaille. Durant une période « très enlevante », ils ont publié des articles sur le financement du Parti libéral et sur « la police qui se bute au parti ». Ce Bureau d’enquête a « sorti le stock qu’on a mis dans PLQ inc. », illustre-t-il.

Avec l’arrivée de QUB, Antoine Robitaille a été invité à y animer une émission, et à quitter le 98,5 FM. Depuis ce temps, il se concentre sur son émission Là-haut sur la colline et sur sa chronique politique.

Quel serait le défi le plus exigeant rencontré sur son parcours peu commun?

« Mon défi quotidien, c’est de jongler avec toutes les échéances. Donc être prêt pour mon midi à la radio. Faire mon émission, qui doit être remise à trois heures. C’est une demi-heure de radio, que j’enregistre à différents moments de la journée, selon la disponibilité des invités. Et que ce soit bon… Quatre fois par semaine, il faut quand même que je remette une chronique, fouillée, bien écrite, pertinente. Actuellement, c’est ça, mon plus grand défi. »

Antoine Robitaille déplore que les étudiants en communications qui le questionnent s’intéressent « juste aux technologies ». Pour lui, « le défi, c’est de connaître son sujet », plutôt.

« Peu importe sur quelle plateforme. Il faut avoir du savoir, pour développer deux choses cardinales en journalisme : la capacité d’analyse et l’esprit de synthèse. Ça, ça prend du savoir. Le savoir, ça vient des livres, des entrevues… C’est toujours le même défi, dans le fond. On le voit quand on fait des enquêtes très délicates sur les gens. On sait qu’on va détruire leur réputation. Faut que ce soit impeccable. Ça, c’est un défi. Vérifier, vérifier, vérifier. »

Près de son bureau, il a collé « un petit papier ». On y lit, en grosses lettres noires : « As-tu vérifié? »

« Pouvoir dire : il pleut »

Les mythes sur les médias et le travail journalistique se propagent, sur les réseaux sociaux et dans certains milieux. « Les gens qui cultivent ces mythes, souvent, ne lisent pas les journaux, ne s’intéressent pas à toutes les nuances », commence Antoine Robitaille.

« Ceux qui disent qu’on est des larbins de l’état et tout ça, ce sont des gens avec qui il est difficile de discuter. Moi, j’essaye… Hier, j’en ai pogné un sur Twitter. Il n’arrêtait pas de me gosser, il était anonyme. Il disait : vous ne donnez pas la parole au peuple. J’ai dit : moi, je veux vous donner la parole, dites-moi qui vous êtes. Moi, j’écris mes prises de position à visière levée. »

Quant aux rapports entre le milieu numérique et celui des médias, il parle d’un « choc entre les publicitaires et les rédactions ». Il se rappelle l’époque où les publicitaires voulaient éliminer le papier, alors que le public et les clients – ceux qui lisent et ceux qui achètent la pub – voulaient continuer de lire le journal sur papier. « Les publicitaires disaient que ces gens-là étaient rétrogrades. »

Lorsque La Presse est devenue « uniquement virtuelle, une proportion très large des abonnés avaient dit dans un sondage qu’ils ne voulaient pas passer à la tablette », se souvient-il. « Cette entreprise-là leur a dit : vous êtes en retard, vous devez migrer, sinon allez ailleurs. Où est-ce qu’ils sont allés? Au Devoir ». Les abonnements y ont grimpé, explique-t-il, dessinant d’un geste la courbe ascendante.

« Ça n’a pas empêché Le Devoir de prendre un virage numérique… avant Brian Myles. Nous autres aussi, on s’en est fait, une tablette, à 200 000 $ au lieu de 4 millions! C’était bon, en plus, car c’était des abonnés plus âgés. Avec le Printemps érable, Le Devoir avait eu un gain d’abonnements, mais beaucoup chez les jeunes. Les jeunes, pour les publicitaires, c’est bon, mais ça ne dépense pas beaucoup. »

Dans les nouveaux modèles de médias qui émergent à la façon des startups, portés par des journalistes-entrepreneurs, et les contenus hybrides, Antoine Robitaille reconnaît « des vieilles questions ». Une confusion des genres était déjà présente dans les pages d’imprimés de précédentes décennies. Il évoque des publireportages sans signe distinctif parmi les articles du Journal économique.

« Ce qu’il y a eu de bon dans le syndicalisme en journalisme… Il y a bien des jeunes générations qui lèvent le nez là-dessus, mais j’en parle d’autant plus aisément que je ne suis pas syndiqué! Je l’ai été. Quand on regarde dans l’histoire du journalisme québécois, le syndicalisme a vraiment professionnalisé le journalisme. Il faudrait revenir à ça, pour tenir la dragée haute au patron qui dit : on a une belle pub de Google, il faut parler en bien de Google.

Il faut que le journalisme soit possible. Le journalisme, c’est de pouvoir dire : il pleut! »

L’inédit et la guerre

Qu’est-ce qui stimule, qui allume un journaliste infatigable comme Antoine Robitaille? « Ça a l’air con, C’est l’inédit. Révéler de l’inédit qui dérange, des vérités. »

« On publie une enquête demain. C’est sûr que la personne qui est au centre de ça, ça ne sera pas facile pour elle, mais c’est d’intérêt public et c’est vrai. On est un peu tiraillé. La même chose en politique. Quand on va l’autre bord [à l’Assemblée nationale], on les croise, on vient d’écrire sur eux. Il y a beaucoup de gens en journalisme qui ne vivent pas ça. Nous, c’est spécial, ce sont des élus qui ont des comptes à rendre à la population. On doit le faire. »

Après quelque 30 années d’une carrière bien remplie à la cadence rapide, y a-t-il quelque chose qu’il n’a pas eu l’occasion de faire et qu’il aimerait essayer?

« Aller couvrir la guerre en Ukraine. Aller couvrir une guerre. Ça, je ne l’ai jamais fait. Actuellement, c’est un drame. La guerre en Espagne, la Seconde Guerre mondiale… René Lévesque, il est allé là… Pierre Nadeau, c’est incroyable quand tu regardes son parcours… Aller là où se passe le grand drame de notre époque. Il faudrait que j’aie une formation, ça prendrait un fixer… C’est compliqué! Je lève mon chapeau à ceux qui le font. »

Écouter : Les médias, la production de contenu

Lire aussi :

Le temps d’un café avec Valérie Gaudreau dans l’îlot des Tanneurs

Restez à l'affût des actualités de votre quartier

Chaque samedi, recevez nos nouvelles, offres et activités incontournables dans le quartier.