Renouer, un documentaire sur nos repères perdus

Un oiseau s’égosille et tourbillonne dans un bâtiment clos et délabré alors que résonne en arrière la voix de Catherine Dorion. C’est le premier plan du documentaire Renouer qu'elle a coréalisé avec Maxime Laurin et Samuel Matteau. Le documentaire conjugue témoignages citoyens, réflexions sur l’état de la société québécoise et moments contemplatifs.

<em>Renouer</em>, un documentaire sur nos repères perdus | 7 avril 2022 | Article par Viktoria Miojevic

Extrait du documentaire Renouer. Séquence, à table, dans un restaurant dans lequel les trois député.e.s échangent avec des aînés sur le Québec.

Un oiseau s’égosille et tourbillonne dans un bâtiment clos et délabré alors que résonne en arrière la voix de Catherine Dorion. C’est le premier plan du documentaire Renouer qu’elle a coréalisé avec Maxime Laurin et Samuel Matteau. Le documentaire conjugue témoignages citoyens, réflexions sur l’état de la société québécoise et moments contemplatifs.

Si l’oiseau s’égosille sans trouver de porte de sortie, c’est qu’il est enfermé dans une grange qui va s’ouvrir pour laisser entrevoir un paysage de campagne québécois. « Ils passeront pas des lois pour nous autres », enchaîne Louis, un aîné de 82 ans à qui les politicien.ne.s de Québec Solidaire demandent s’il suit la politique.

« Je suis ça moins que dans le temps, ce qui va se passer dans 10 ans, ça me concerne pas ben ben. »

Le documentaire Renouer adopte un format assez inédit. Les député.e.s Sol Zanetti, Émilise Lessard-Therrien et Catherine Dorion y déambulent tout du long à la rencontre des citoyen.ne.s du Québec. On comprend rapidement qu’iels souhaitent dresser un portrait des voix marginalisées ou silencieuses de la province.

« On accepte de ne plus prendre soin les uns des autres. »

Défilent les séquences de discussion autour d’une table, sur le bord d’un trottoir, dans un camion ou dans un restaurant. Les personnes ne sont pas vraiment présentées, on ne sait pas toujours qui elles sont, où elles se trouvent ou comment les politicien.ne.s les ont rencontrées.

Toujours est-il que les député.e.s les interrogent, à la manière de journalistes-philosophes sur l’état de la société québécoise et l’avenir. C’est à se demander si, à force de recevoir quotidiennement des questions des journalistes, les députés n’ont pas eu envie d’aller les poser directement aux citoyen.ne.s.

Les personnes que l’on voit dans le film sont questionnées par les député.e.s sur leurs rêves d’avenir pour le Québec, leur perception du monde, de la société, leur quotidien, leurs réalités, leurs défis.

« On a pas le temps de se demander qu’est-ce qu’il se passe autour de chez toi, pas du quartier, ce qui se passe autour de chez toi. »

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Entre ces moments d’échange avec des citoyen.ne.s, on retrouve les politicien.ne.s avec des ami.e.s ou avec leur équipe de tournage ou de travail dans un chalet. Autour d’une table ou d’un feu, après une sortie kayak, iels échangent sur leur vision de la société et parfois du système politique. Les interrogations portent également sur le changement social, un phénomène sur lequel Sol Zanetti revient à de nombreuses reprises.

« On a pas le temps d’être là quand ça compte. »

Tantôt les citoyen.nes n’ont plus de « rêve commun », ou l’enjeu est celui d’une perte d’un sentiment collectif. Tantôt entrent en jeu les « vies de fou », la cadence de la vie, la perte d’un sentiment d’appartenance culturelle ou sociale, le peu de temps pour s’occuper des autres, le manque de lieux pour se retrouver.

Face à ces enjeux, l’une des solutions passerait par un retissage des liens et un ralentissement, comme le mentionne Catherine Dorion à de nombreuses reprises, grâce au territoire.

Entre ces discussions s’entremêlent des plans fixes et contemplatifs sur un.e enfant qui a perdu une dent, des paysages, des activités, des mobilisations sociales ou des scènes de la ville de Québec. On peut éventuellement les interpréter comme la démonstration de cette volonté de ralentir.

Reproduire un parvis d’église?

Il est difficile de savoir à qui s’adresse exactement le documentaire. Dans le choix de laisser les interlocuteurs sans nom, on devine peut-être une volonté d’universaliser un discours qui s’interroge sur la perte de repère des individus, quel que soit leur groupe social d’appartenance. On peut percevoir une volonté d’incarner cette perte de « repère » social en universalisant un discours, mais aussi en l’incarnant via des individus. Le documentaire semble cheminer entre ces deux volontés.

En tout cas, Renouer semble s’inscrire dans la tradition documentaire progressiste qui aborde des enjeux politiques, au sens de l’organisation de la société, mais par l’image avec un style « éducation populaire », à la façon de la vidéo participative.

En entrevue avec Jean-Simon Bui de Noovo, Catherine Dorion explique d’ailleurs qu’un impératif du film était ne pas être partisan, car les fonds proviennent de l’Assemblée nationale, du budget de comté. « On n’a plus de parvis d’église, il faut trouver des lieux communs », lance la députée Émilise Lessard-Therrien.

C’est comme si le documentaire cherchait donc à reproduire ce parvis d’église, mais à l’échelle du Québec et en moins d’une petite heure, ce qui lui donne un air souvent expérimental. La fin prend une saveur plus politique avec des images d’archive, des discours. Le documentaire est comparable à un pamphlet politique, mais sans partisanerie alors le sens intervient dans le choix des sujets et la manière dont ils sont abordés.

Il est d’ailleurs assez étonnant de voir des personnalités politiques ne pas se positionner contre des partis sur des enjeux partisans, tout en traitant de l’organisation de la société. Cela donne au documentaire des allures de philosophie politique. Néanmoins, reviennent à plusieurs reprises des critiques sur des institutions politiques et leurs limites. Sol Zanetti et Catherine Dorion abordent le sujet rapidement. L’un d’eux soupèse le clivage entre les mouvements sociaux et la réalité lente entre les murs d’une Assemblée :

« Quand tu passes de l’un à l’autre, tu passes dans un dédale institutionnel dans lequel tu n’as pas de pouvoir, peu de marge de manœuvre. »

On peut se demander de quoi aurait eu l’air le documentaire si, au lieu de ralentir, le parti pris avait été de montrer l’urgence du quotidien. Peut-être que les différents messages seraient passés avec une plus grande fluidité et un contraste plus important avec le territoire, les paysages, les moments de vie. Ce documentaire, qui sort à quelques mois des élections, a parfois des airs d’un pamphlet politique citoyen, partisan par le choix des thèmes abordés et expérimental, artistique par l’image.

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