Avant l’heure mauve: un dilemme insoluble

Pour l’ouverture de sa saison théâtrale 2023-2024, le Théâtre Périscope a opté pour une pièce de résistance aux accents western, écrite, orchestrée et, à une exception près, interprétée par des femmes.

Produite par le Théâtre À pleins poumons, une compagnie de création de Québec qui met en valeur la parole féminine, cette œuvre dramatique de Maude Bégin-Robitaille, mise en scène par Marie-Hélène Lalande, ne fait pas dans la dentelle. Tous les codes du genre y sont exploités avec efficacité pour générer une ambiance tendue, glauque et menaçante où la duplicité et la perfidie sont exacerbées par la colère et le désir de vengeance des protagonistes.

Dans une contrée reculée où la guerre et la famine font rage depuis trop longtemps, la grange délabrée de Margot Hutson (Érika Gagnon) devient le lieu d’un enlèvement pour le moins controversé. Inès (Angélique Patterson), une rebelle armée et déterminée, y traîne de nuit le Général (Nicolas Létourneau), un homme cruel et sanguinaire, ce qui éveille la peur et la trahison dans ce petit ranch isolé. Entourée de sa sœur Céleste (Sophie Dion), de sa fille Anna (Odile Gagné-Roy), de Simone (Marie-Hélène Lalande), l’épouse du maire, et de Syrine (Catherine Côté), la guérisseuse du village, Margot Hutson est la seule à conserver son flegme dans cette situation hautement explosive.

Une décision doit être prise avant l’heure mauve qui fait ici référence au moment où pointe le premier rayon du soleil. Le sort du Général pourrait-il changer le cours de l’existence des femmes qui le détiennent ? Celles-ci font face à trois options qui paraissent aussi hasardeuses les unes que les autres et qui semblent toutes conduire à la même impasse. Entre les meuglements de la dernière vache du troupeau des Hutson qui peine à mettre bas, les cris de douleur du Général qui a été touché à la jambe par un projectile, Margot cherche une issue à ce dilemme paradoxal et insoluble pendant que certaines de ses comparses conspirent et que des secrets sont dévoilés.

Un univers en vase clos

L’atmosphère très typique du western imprègne d’emblée la scène avant même que l’action ne s’organise. Le décor de Gabriel Cloutier-Tremblay ainsi que les costumes et accessoires d’Émilie Potvin se marient habilement aux éclairages de Keven Dubois et à l’environnement sonore de Yana Ouellet. Dans une sorte de prologue qui rappelle les gros plans si éloquents et palpitants du maître du genre, Sergio Leone, les protagonistes féminins sont présentés à tour de rôle, nappés de grandeur, de frayeur et de mystère par la lumière et la musique.

Le public est immédiatement happé par la situation. Les comédiennes évoluent avec beaucoup d’aisance dans cet environnement où les sons et les silences ainsi que les jeux d’ombre et de clarté esquissent l’angoisse de la nuit. Érika Gagnon se distingue dans son rôle de femme forte dont les fils sont partis à la guerre. L’interprétation est solide et chacune des actrices endosse son personnage avec beaucoup de vérité. Seul le Général semble plus faible ; on dirait qu’il manque d’assise et de mordant. Ce n’est pas tant le jeu du comédien qui est en cause que les choix d’écriture et de mise en scène, comme si on souhaitait occulter l’impact de cet individu sur la situation.

Et pourtant, c’est la présence du Général qui fait que l’équilibre précaire de cet univers en vase clos bascule et que les personnages glissent inexorablement à leur perte. L’originalité de cette production tient beaucoup au fait que l’action est menée par des femmes qui, même lorsqu’elles prennent les armes, restent entravées par le fantôme des hommes qui les ont marquées au fer rouge.

La pièce Avant l’heure mauve est présentée au Théâtre Péricope jusqu’au 7 octobre 2003. Les billets sont en vente à cette adresse : https://theatreperiscope.qc.ca/spectacle/avant-lheure-mauve/