Ernest Gagnon, musicien et homme multidisciplinaire marquant

Collaboration spéciale : Rénald Marchand

Ernest Gagnon, musicien et homme multidisciplinaire marquant | 19 août 2023 | Article par Monmontcalm

Ernest Gagnon, vers 1900.

Crédit photo: Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Collection Centre d'archives de Québec

Collaboration spéciale : Rénald Marchand

Je demeure sur la rue Ernest-Gagnon et je savais peu de choses sur cet homme, sauf que c’était un bon musicien. Il était impliqué de diverses façons dans de nombreuses histoires et il avait marqué positivement son époque. Alors, dans le cadre de mes articles sur des petits morceaux de l’histoire du Québec, j’ai décidé d’y plonger plus profondément.

En plus, madame Suzanne Vermette, qui m’avait accompagné lors de l’article sur le major Samuel Holland, était non seulement une passionnée de son histoire, mais aussi une descendante en droite ligne d’Ernest Gagnon.

Mieux encore, elle est membre d’une association familiale sur les Gagnon, Les familles Gagnon et Belzile inc., qui publie un petit bulletin de liaison nommé La Gagnonnière. Histoire et généalogie sont deux petites sœurs charmantes!

Au surplus, elle avait mené une croisade pour installer un monument en son honneur au coin de la rue Ernest-Gagnon et du chemin Sainte-Foy, sur le terrain du Samuel-Holland. La compagnie acceptait même de lui fournir gracieusement. Le projet ne vit pas le jour par manque de financement, mais elle n’a pas jeté l’éponge, loin de là!

Mme Cécile Vermette
Crédit photo: Courtoisie Rénald Marchand

Origines d’Ernest Gagnon et débuts en musique

Madame Vermette, Monsieur Gagnon était-il de la ville de Québec?

Mme Vermette : Non, monsieur Gagnon était natif de Rivière-du-Loup, devenue la ville de Louiseville un peu plus tard (en 1880). C’est en Basse-Mauricie, légèrement à l’ouest de la ville de Trois-Rivières, au centre du triangle composé de Pointe-du-Lac, Shawinigan et Berthier.

Il est né en 1834, le cinquième d’une famille de neuf enfants, Tout jeune, il manifesta plusieurs talents. Lorsque son père installa un piano dans la maison, il pianota instantanément et apprit très rapidement à bien en jouer. Il était chanceux, sa sœur Bernardine connaissait bien l’instrument. Elle lui donna des cours qu’il avalait avec avidité.

Effectivement, il était doué, mais de là en faire un grand musicien, il y a une marge, non?

Publicité

Mme Vermette : Il faut noter qu’en ce temps-là, même de petits villages comptaient des musiciens, des notables, des érudits de talents qui travaillaient auprès des jeunes.

Son passe au collège de Joliette lui offrit une chance formidable. On y trouvait des professeurs émérites, enchantés de favoriser le développement d’un élève aussi doué et assidu dans son apprentissage.

Après quelques années, il déménage à Montréal pour perfectionner son art avec des professeurs remarquables : John G. Seebold et Charles Wugk Sabatier. Il se trouvait au centre d’un foisonnement de talents et il en profita au maximum.

Le talent multidisciplinaire d’Ernest se développe durant cette période, durant laquelle il besogna dans différents métiers : au magasin de musique de Gottlieb Sebold, chez l’horloger et le marchand de musique Louis Bilodeau. Son talent, les tâches accomplies et les milieux dans lesquels il baignait en ont fait un homme du grand monde, comme on disait dans le temps. La suite de sa carrière le prouva.

Arrivée à Québec

Le mystère s’épaissit… Tout était pour le mieux pour lui à Montréal et BANG, on le retrouve à Québec?

Mme Vermette : Oui, oui! L’église Saint-Jean-Baptiste cherche un organiste et lui fait une proposition qu’il accepta en 1853! Donc, direction Québec!

C’était quelque chose. Le poste d’organiste dans une église est un poste prestigieux. Il en a la charge à l’âge de … 19 ans! Rapidement, il impose le respect à tous ses pairs, il collabore avec différentes maisons d’enseignement, s’implique dans la vie communautaire. Il s’érige en figure de proue!

Ernest Gagnon devient membre fondateur de l’École normale Laval, qui évolue subséquemment vers la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval. Comme il souhaite toujours apprendre, il prend une année sabbatique au Conservatoire de Paris. Il y rencontre des professeurs prestigieux : Alexandre Édouard Goria, Henri Herz et même le fameux compositeur italien du Barbier de Séville, Gioachino Rossini.

L’une de ses plus belles découvertes fut le Minuit, chrétiens, sur la musique d’Adolphe Adam et les paroles de Placide Cappeau, composé en 1847. Il décida de le faire jouer à son retour à Québec, en 1858.

Début d’une tradition

Le Minuit, chrétiens ? Il fut le premier à le faire chanter à Québec ? 

Mme Vermette : Oui, il fut le premier. C’était à l’église Saint-Michel-de-Sillery, que l’on appelait l’église de Saint-Colomb. C’est sa sœur Bernardine qui était à l’orgue et, tenez-vous bien, c’est une femme qui l’a chanté!

En effet, il est chanté pour la première fois en Amérique par Marie-Louise-Joséphine Caron. Elle était la fille du juge René-Édouard Caron, ancien maire de la ville de Québec et futur lieutenant-gouverneur du Québec.

Le lendemain, le cantique résonnait dans l’église Saint Jean-Baptiste. Il proliféra grâce à tous les maîtres chanteurs du Québec.

Petite anecdote, ce geste de Gagnon fut mal perçu par Antoine Dessane, organiste de la basilique-cathédrale Notre-Dame-de-Québec. S’en suivit un échange de lettres ouvertes dans les journaux, faisant bien rigoler la population, qui appuyait sans réserve Gagnon.

Famille de musiciens

Finalement, toutes ces histoires lui ont donné un statut enviable à Québec?

Mme Vermette : Bien sûr! Entre-temps, il s’est marié avec Caroline Nault en 1860, à l’âge de 26 ans. Il s’installe pour de bon à Québec. Une maison de la rue Hébert affiche une plaque de résidence, installée par la ville de Québec.

La plaque rappelant Ernest Gagnon est apposée à l’extérieur de la Maison Joseph-Morrin, au 14, rue Hébert.
Crédit photo: Wikimedia Commons

Il était organiste, il enseignait, il composait de la musique, dont certaines pièces d’inspiration autochtone. Il devient organiste à la basilique de Québec en 1864, après la démission de Dessane. Dès lors, la famille Gagnon détint cette fonction longtemps. En 1876, Ernest céda la place à son frère Gustave. En 1915, le fils de Gustave, Henri, prit la succession et il demeurera organiste jusqu’à sa mort en 1961. Un centenaire de Gagnon à l’orgue de la basilique, ce n’est pas banal!

D’ailleurs, on parle d’Ernest, mais toute la famille était dynamique et impliquée dans la vie de Québec. La formation et les premières années de l’Union musicale de Québec et de l’Académie de musique du Québec, fondées respectivement en 1866 et en 1868, le montrent clairement.

Voyages, Saint-Père et fonctionnaire

Mme Vermette : Ernest Gagnon ne demeure pas uniquement à Québec, puisqu’il voyage aussi en Europe. En effet, en 1873, Gagnon se rend sur le Vieux-Continent pour le Courrier du Canada. Pendant cinq mois, il visite l’Angleterre, la France, l’Italie, l’Autriche, la Bavière, le Luxembourg et la Belgique.

Il rédige, pour le Courrier du Canada, une série de lettres qui parurent à Québec en 1876 sous le titre de Lettres de voyage. Ces lettres font notamment état de sa rencontre avec Dom Guéranger, à Solesmes, et de son audience auprès de Pie IX, à Rome.

Ma foi du bon, il a rencontré le pape???

Mme Vermette : Bien sûr! Tout jeune à Montréal, il rencontrait du grand monde au magasin de musique et chez l’horloger, ce qui lui donnait de l’aisance et de l’assurance, sans vanité… rien de trop beau pour la classe ouvrière !!!

Mais attachez vos bretelles! Au retour, il décide de devenir un fonctionnaire bien peinard pendant trente ans!

En effet, en 1875, il fut secrétaire du premier ministre Charles Boucher de Boucherville, puis, de 1876 à 1905, secrétaire de plusieurs ministres des Travaux publics. Manifestement, Gagnon réoriente sa carrière de son plein gré.

La réputation de musicien qu’il s’était taillée à Québec, de même que sa participation à l’administration d’organisations nationalistes, telles que l’Institut canadien et la Société de colonisation de Québec, l’aidèrent peut-être à obtenir ces postes dans l’administration publique. Il avait d’ailleurs quelque expérience directe de la politique, comme il avait été conseiller municipal en 1871–1872.

De plus, une nouvelle machine arrivait sur le marché. Le piano à écrire, qu’il a dû maîtriser en deux temps trois mouvements, était un atout pour lui et ses employeurs. Les secrétaires du temps étaient des scribes pour leur patron.

Machine à écrire inventée par Samuel Francis, photo prise en 1857.
Crédit photo: Wikimedia Commons, image du National Museum of American History

Histoire et folklore

Mme Vermette : Au cours de cette même période, il fit également œuvre d’historien.  Ernest Gagnon rédige la biographie de deux personnages du XVIIe siècle, l’explorateur canadien Louis Jolliet et le gouverneur Louis d’Ailleboust. Ces deux ouvrages, bien documentés, illustrent son érudition.

Fondé sur les Relations des Jésuites, le septième chapitre de Louis Jolliet […] présente un tableau de la vie musicale à Québec au XVIIe siècle. Il montre combien Mgr François de Laval, le prêtre et musicien Charles-Amador Martin et Jolliet y jouèrent un rôle important. L’explorateur fut probablement le premier Canadien à étudier la musique en Europe et tint l’orgue de la basilique-cathédrale Notre-Dame-de-Québec, deux siècles avant Gagnon.

Ses tâches de secrétaire et l’écriture des biographies ont dû lui faire négliger la musique?

Mme Vermette : Pas du tout! il semble que son travail de fonctionnaire lui laisse beaucoup de temps libre. En effet, il s’est intéressé au folklore canadien  et il a publié plusieurs textes sur le folklore dans le Foyer canadien, de 1865 à 1867. Il en fit la synthèse dans un livre intitulé Chansons populaires du Canada, qui fut réédité 13 fois!

Cette œuvre monumentale présentait l’intégrale (texte et musique) d’une centaine de chansons, annotées de diverses façons : soit sur le terrain, soit par des références livresques ou par différents témoignages.

Crédit photo: Source : Ebay

Chaque chanson était assortie de commentaires explicatifs et analytiques. On dit même qu’il a contribué à l’émergence de la nation canadienne-française et du nationalisme naissant.

D’ailleurs, en 1880, comme membre du jury de sélection formé par la société Saint-Jean-Baptiste, il utilise sa notoriété et son influence pour choisir la pièce de Calixa Lavallée, le Ô Canada, comme chant de ralliement voulu par la société Saint-Jean-Baptiste pour les Canadiens-français.

Ô Canada

Allez-donc, vous! Le Ô Canada, pour la société Saint-Jean-Baptiste?

Mme Vermette : Bien sûr! Ernest Gagnon avait déjà rencontré Calixa Lavallée lors d’un voyage en Europe. Les deux hommes s’étaient liés d’amitié. Gagnon appréciait beaucoup le talent de Lavallée et cette pièce, avec les paroles d’Adolphe-Basile Routhier, convenait parfaitement à sa vision nationaliste de la société canadienne-française.

Le jury, sous sa poigne énergique, accepta cette pièce, que la société Saint Jean Baptiste fut enchantée d’utiliser lors de son premier défilé, en 1880.

Avec cette histoire, comment le Canada anglais pouvait-il accepter cette chanson comme hymne canadien?

Mme Vermette : C’est là un des curieux détours de l’histoire. La chanson est devenue de facto l’hymne national en 1939, lors de la visite du roi George VI, à Ottawa. Puis, elle a été adoptée de manière officielle par une loi du Parlement en date du 1er juillet 1980, c’est-à-dire lors de la fête du Canada, après quelques corrections au texte.

Merci bien, Mme Vermette, pour cette entrevue! Vous êtes vraiment intéressante et c’est charmant de discuter avec vous.

Essai

Avant de clore cet article, je vous invite à surveiller la parution prochaine d’un essai sur Ernest Gagnon, écrit par Bernard Cimon, musicien bien connu de Québec. Madeleine Gagnon, retraitée de l’enseignement, l’a accompagné dans la recherche. Monsieur Cimon fait parler des acteurs oubliés de notre histoire, qui ont gravité autour d’Ernest Gagnon : les Carreau, Hamel, Bouchy, Dessane, Larue et plusieurs autres. Bernard sort de l’ombre de nombreux témoignages inédits, très captivants et qui sauront vous séduire et vous émerveiller.

Livre à paraître sur Ernest Gagnon
Crédit photo: Site des Presses de l'Université Laval

Merci pour votre intérêt!

Rénald Marchand

Renaldmarchand@live.ca

Le dictionnaire biographique du Canada fut une source importante d’informations pour ce texte.

Lire aussi:

Le major Samuel Holland, un homme d’exception

Ici vécut René Pomerleau, au 1274-1278, Boul. René-Lévesque O

Soutenez votre média

hearts

Contribuez à notre développement à titre d'abonné.e et obtenez des privilèges.

hearts
Soutenir