Les Fabuleuses : aimer prudemment

Sur fond de costumes à paillettes, de vin cheap, qui « goûte le diabète » et de confidences intimes mi-figue mi-raisin, la quête d’aimer librement, avec insouciance, se raconte à travers des parcours qui se revendiquent de la non-hétéronormativité et de ses clichés. Parce qu’aimer quand on doit se préoccuper de ne pas « se faire violer » ou « tabasser », ça nous éloigne collectivement de l’insouciance (hétérosexuelle) amoureuse, comme le mentionne assez justement Maeva, l’une des Fabuleuses.

<em>Les Fabuleuses</em> : aimer prudemment | 15 avril 2023 | Article par Karolanne O' Keefe

Crédit photo: David Mendoza Hélaine

Sur fond de costumes à paillettes, de vin cheap, qui « goûte le diabète » et de confidences intimes mi-figue mi-raisin, la quête d’aimer librement, avec insouciance, se raconte à travers des parcours qui se revendiquent de la non-hétéronormativité et de ses clichés. Parce qu’aimer quand on doit se préoccuper de ne pas « se faire violer » ou « tabasser », ça nous éloigne collectivement de l’insouciance (hétérosexuelle) amoureuse, comme le mentionne assez justement Maeva, l’une des Fabuleuses.

Empruntant au registre du théâtre communautaire, claironnant leur appartenance à la communauté LGBTQIA2+, c’est à travers leurs conversations autour de sujet tabous que les six protagonistes des Fabuleuses osent livrer leur expérience vécue et les aliénations ordinaires avec lucidité et sensibilité.

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’au royaume du glitter et des ensembles moulants, les contrastes entre réalité et spectacle se côtoient avec brio, sans jamais laisser le spectaculaire faire oublier le sens du discours critique. À la manière des Belles-sœurs, les traits d’humour, parfois caustiques, dévoilent d’autant le drame naturaliste d’une génération qui se déroule au théâtre comme dans la vie.

Quand le surréalisme devient réalité ordinaire

Tantôt en chantant, dansant, riant, tantôt en se mettant en colère et en ne mâchant pas les mots, c’est lors de préparatifs pour le défilé de la Pride qu’on découvre des personnalités contrastées et colorées qui ne cachent pas leur vulnérabilité, mais y puisent, au contraire, une force critique.

Si l’homophobie et la transphobie sont de plus en plus encadrés par une réflexion et un discours sur l’équité, la diversité, l’inclusion, le manque d’information reste à ce jour assez criant. S’inspirant de Broadway et de ses jeux d’éclairages qui font distinguer sans ambiguïtés les différentes temporalités de l’action, la pièce nous invite à nous informer (et à nous étonner) sur différentes problématiques qui ont (encore) cours et font toujours l’objet de silences institutionnels difficilement défendables. VIH indétectable, thérapies de conversion, position de l’église catholique sur l’orientation sexuelle, violences ordinaires auxquelles font face les personnes issues de la communauté LGBTQIA2+…

Le portrait ne fait pas dans la dentelle. Il est frontal et nuancé, sans non plus prétendre apporter une solution préfabriquée à toutes les ambiguïtés, les doutes et controverses vers l’émancipation.

Oser les désaccords

D’ailleurs, plutôt que de chercher à aplanir les désaccords au sein de la communauté, la pièce montre les désaccords socio-politiques, jusqu’aux discordes qui peuvent survenir quand on lutte contre les oppressions sans chercher à les édulcorer ou à les aplanir plus que nécessaire.

Les stratégies de lutte qu’on se donne, dans l’intimité comme dans la sphère publique, sont multiples. En choisissant l’une plutôt que l’autre, on parle peut-être davantage de l’imbrication des rapports sociaux et des asymétries de chacun dans le cadre capitaliste actuel.

On combat (surtout) comme on peut dans une communauté où les droits sont (encore) subordonnés aux ressources, aux revenus et à la position sociale de chacun. Les désaccords comme les doutes font partie de l’établissement d’un dialogue. Dialogue qui est toujours à (re)faire, ne serait-ce que parce que les rapports de pouvoir se transforment.

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« Tout n’est pas blanc ou noir », comme le dit l’un des protagonistes pour désamorcer un conflit naissant.

Enfin, il ne s’agit pas non plus de faire gagner l’amitié envers et contre tous. Si des sujets peuvent franchement diviser maintenant ou plus tard, la pièce traite avec tendresse des tribulations qui s’apaisent devant les épreuves ou « rites de passage », tels que les coming out qui rythment les parcours queer. Là encore, on nous rappelle que revenir à la simplicité et à l’insouciance demeure encore de mise pour rassembler… même si ce n’est pas chose aisée.

Au final, comme le démontre Les Fabuleuses, faire communauté, c’est un peu tout ça en même temps. Une route commune vers l’acceptation, le respect et la coopération qui n’est pas lisse, mais traversée par des tensions, des discontinuités et parfois des ruptures pour faire au mieux ensemble.

La pièce Les Fabuleuses est présentée à Premier Acte jusqu’au 22 avril 2023.

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