Ici vécut: Robert Blatter, au 49, rue Aberdeen

On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué l'histoire de la ville. Robert Blatter (1899-1998) est un architecte avant-gardiste qui a laissé sa marque sur le paysage institutionnel et résidentiel de Québec,. L'Hôpital Saint-François-d'Assise, le CHUL ou le Colisée, ça vous dit quelque chose ?

<em>Ici vécut</em>: Robert Blatter, au 49, rue Aberdeen | 18 novembre 2023 | Article par Simon Bélanger

Robert Blatter, architecte d'origine suisse, a vécu au 49, rue Aberdeen.

Crédit photo: Simon Bélanger - Monmontcalm

On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué l’histoire de la ville. Robert Blatter (1899-1998) est un architecte avant-gardiste qui a laissé sa marque sur le paysage institutionnel et résidentiel de Québec,. L’Hôpital Saint-François-d’Assise, le CHUL ou le Colisée, ça vous dit quelque chose ?

Tout récemment, on annonçait que la Ville de Québec entamait des consultations pour statuer sur l’avenir du secteur nord-est du site d’ExpoCité. Celui-ci comprend notamment des stationnements, mais aussi l’ancien Colisée (ou Colisée Pepsi, de 1999 à 2020), où les Nordiques ont remporté la coupe Avco en 1977 et les Remparts, la Coupe Memorial, en 1971.

Il s’agit d’un des nombreux bâtiments portant la signature de l’architecte d’origine suisse Robert Blatter, alors qu’il était régulièrement engagé par des firmes d’architecture pour travailler sur des bâtiments d’importance. Ce sont cependant les résidences privées qu’il a imaginées, dont la plupart se trouvent à Québec, qui lui ont davantage octroyé le statut de créateur moderne et avant-gardiste.

Jeunesse en Suisse et à Paris

Robert Blatter voit le jour le 27 mai 1899, à Konolfingen, à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Berne, capitale helvète.

Il étudie d’abord au lycée de Berne, de 1912 à 1916, avant de se diriger vers l’École technique de Berne, de 1916 à 1918. Robert Blatter développe en revanche son affection pour le dessin au contact d’un professeur privé.

Le jeune homme poursuit sa formation à l’École des Arts et Techniques de Zurich, de 1918 à 1921, avant de se diriger vers la France, qui se remet des affres de la Première Guerre mondiale.

Le besoin de reconstruction du pays fait en sorte qu’il trouve du boulot sans difficulté à Lunéville, auprès d’Henry Wilfrid Deville. Ce dernier était l’architecte-en-chef de la reconstruction du département de Meurthe-et-Moselle. Blatter contribue à la réfection de canalisation et à l’élaboration d’édifices publics.

Rare photo de Robert Blatter.
Crédit photo: Ville de Québec

Cette expérience l’inspire quelques années plus tard, puisqu’il propose, bien avant les autorités municipales, de canaliser les rivières Saint-Charles et Lairet. Il équipe également les hôpitaux de Havre-Saint-Pierre et de La Malbaie de fosses septiques, pour ne pas polluer l’eau potable.

En 1922, il prend la direction de Paris, où il est engagé comme chef d’atelier chez l’architecte Maxime Roisin. C’est d’ailleurs ce dernier qui traîne le jeune Blatter avec lui jusqu’au Québec en 1926, puisqu’il avait été engagé pour chapeauter la reconstruction de la basilique-cathédrale Notre-Dame de Québec et la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré, toutes deux détruites par des brasiers en 1922.

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De l’église à la décoration

Alors impliqué dans les travaux de la basilique Notre-Dame de Québec, Robert Blatter se fait remarquer par Raoul Chênevert. Il engage le Suisse comme chef d’atelier.  Blatter travaillera ensuite pour J. Aurèle Bigonesse et finalement pour J. G. Gabriel Vallerand.

Un an après son arrivée au Québec, Robert Blatter se marie avec Pauline Roy.

Pendant la même période, le Suisse travaille sur ses propres projets de décoration et réalise des meubles. Il possède alors son «Studio de décoration moderne», sur la rue Saint-Jean.

En 1936, Robert Blatter se joint à l’architecte G. Fernand Caron. En 1950, les deux hommes sont officiellement associés sous le nom de Blatter & Caron, puisque Blatter est officiellement admis dans l’Association des Architectes de la Province de Québec. En 1960, Gilles Côté se joint au duo.

Projets d’envergure

Colisée de Québec

Il est possible que le nom de Robert Blatter soit inconnu d’une grande partie de la population de Québec. Pourtant, son nom est associé à une multitude de bâtiments emblématiques construits au XXe siècle.

Pensons d’abord au Colisée de Québec. En 1942, un important feu avait détruit l’aréna du parc Victoria, domicile des As de Québec. Ceux-ci déménagent dans le Pavillon de l’agriculture, au parc de l’Exposition, mais ce second bâtiment est aussi emporté par les flammes en mars 1949.

Le maire de Québec, Lucien Borne, lance ensuite rapidement un projet de construction d’un nouvel aréna de 10 000 sièges. Le futur domicile des Remparts, des Nordiques et des Citadelles est finalement construit en moins de sept mois. La première partie de hockey a lieu le 16 décembre 1949, mais les sièges étaient alors toujours absents.

Robert Blatter, architecte qui a dessiné les plans du Colisée en se basant sur un brevet allemand, est sorti des sentiers battus. Il imagine un bâtiment soutenu par des arches en béton armé, sans aucune colonne. Plusieurs prennent des paris sur le moment de son effondrement, mais celui-ci tient toujours.

Sa façade d’origine et sa silhouette arrondie disparaitront cependant en 1979-1980, en raison de travaux nécessaires pour respecter les normes exigées par la Ligue nationale de hockey. On ajoute alors un étage, des balcons intérieurs et 5 000 nouveaux sièges. Un spectacle de Metallica conclut l’aventure du Colisée en septembre 2015.

Le Colisée de Québec, en 2021.
Crédit photo: Suzie Genest

Édifices religieux

En compagnie de ses associés, Robert Blatter a aussi laissé sa marque sur quelques édifices à vocation davantage religieuse.

L’un des plus emblématiques est sans doute la Maison généralices des Soeurs de la Charité, située à Beauport. Sa construction commence en 1952, pour se conclure en 1956. Le plan en forme de «H» constitue une spécificité du lieu.

Maison généralice des Soeurs de la Charité, en 2013.
Crédit photo: Ville de Québec

Démolie en 2021 pour construire une Maison des Aînés, l’église Saint-Louis-de-France, dans Sainte-Foy, représentait bien la modernité du style de Robert Blatter. Dans sa fiche de bâtiment patrimonial, on souligne «son plan polygonal» et «sa volumétrie inusitée» comme étant «propres à l’architecture religieuse des années 1960».

Église Saint-Louis-de-France, démolie en 2021.
Crédit photo: Ville de Québec

Finalement, le Centre de l’Immaculée, construit en 1960 sur le chemin de la Canardière, porte également l’empreinte de Blatter.

À l’extérieur de Québec, il est aussi derrière le monastère des Augustines de l’Hôtel-Dieu de Gaspé.

Écoles, hôpitaux, entreprises

Plusieurs institutions scolaires et hospitalières ont aussi vu leur architecture influencée, au moins en partie, par Robert Blatter.

Dans Saint-Roch, c’est le cas de l’école secondaire Cardinal-Roy, bâtie en 1964.

« Il s’agit de la première école publique de Québec à exploiter la technique constructive des panneaux de béton préfabriqué architecturaux dans sa réalisation autant par souci d’économie et de rapidité d’exécution que pour l’esthétique permise par le matériau et sa technique de fabrication en usine », peut-on lire sur la fiche de bâtiment patrimonial.

École Cardinal-Roy, en 2021.
Crédit photo: Suzie Genest

Un peu plus loin, sur la rue de la Pointe-aux-Lièvres, le Centre Louis-Jolliet a aussi suivi un modèle semblable.

L’architecte suisse également laissé sa marque sur le bâtiment du Centre de services scolaire des Découvreurs, dans Sainte-Foy.

Sur le plan hospitalier, en raison de la nature des bâtiments, les interventions de Blatter et de ses associés ont pu subir des modifications à travers les années. Notons cependant qu’il a réalisé les premiers plans pour le Centre hospitalier de l’Université Laval, autrefois appelé Hôpital Sainte-Foy.

Avec G.-Fernand Caron, il a aussi travaillé sur l’aile B de l’hôpital Saint-François d’Assise, section qui donne directement sur la 1re Avenue.

Finalement, le centre de réadaptation François-Charron (siège social de l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec), sur le boulevard Wilfrid-Hamel, s’inscrit aussi dans l’héritage de Robert Blatter.

Centre de réadaptation François Charron, en 2019.
Crédit photo: Ville de Québec

Finalement, l’immeuble de la Solidarité (compagnie d’assurances fusionnée avec Industrielle Alliance, maintenant iA Groupe financier) a été construit en 1959, selon les plans de Blatter et Caron.

Maisons

En plus du paysage institutionnel, Robert Blatter a aussi travaillé sur quelques maisons, non seulement à Québec, mais aussi à l’île d’Orléans, Rimouski, Cabano et Notre-Dame-du-Lac.

«Comme beaucoup d’architectes de sa génération, Blatter avait un idéal selon lequel une maison n’est pas seulement un espace vide que les résidants meublent par la suite, mais constitue une oeuvre d’art totale dans laquelle chaque élément répond à un besoin précis tout en contribuant à un effet d’ensemble», mentionne Agathe Chiasson-Leblanc, dans son mémoire de maîtrise portant sur Robert Blatter.

Parmi ses résidences les plus emblématiques, nous pouvons noter la Maison Kerhulu, située sur le chemin Saint-Louis. La famille Kerhulu, alors propriétaire d’un restaurant fréquenté par les élites sociales et intellectuelles sur la Côte de la Fabrique, souhaite une demeure qui évoque «leur image sociale de mécènes». Autant chez eux que dans le restaurant, ils reçoivent régulièrement des artistes.

«La résidence, terminée en 1945, avec ses murs dénudés recouverts d’un enduit blanc et couronnés d’une large bande rouge (à l’origine), son toit plat et son jeu de volumes cubiques exprimant la division de l’espace intérieur, se démarque complètement des autres maisons de son quartier à Sillery», rappelle Mme Chiasson-Leblanc.

Maison Kerhulu, photo prise en 2023.
Crédit photo: Ville de Québec (Chantal Gagnon)

D’autres maisons représentatives du style de Blatter, comme la Maison Georges-Émile Bourdon et la maison Henri-Bélanger, ont été démolies. Cette dernière, située sur la rue de Claire-Fontaine, est tombée sous le pic des démolisseurs en 1963, lors du réaménagement de la colline parlementaire.

Maison Henri-Bélanger, démolie en 1963.
Crédit photo: Ville de Québec

Construite pour l’arpenteur de la province de Québec, Henri Bélanger, cette demeure construite en 1929 vaut à Blatter le titre d’architecte-ensemblier.

«Des tapis aux poignées de porte, des meubles aux lampes, de l’humidificateur au paravent, Blatter a tout conçu dans cette résidence», écrivait Michelle Laferrière dans Le Soleil, le 11 janvier 2008.

En plus de ces maisons, Robert Blatter a légalement travaillé sur des résidences, beaucoup moins représentatives de son architecture plus moderniste. C’est le cas de la maison située au 780, Grande Allée Ouest. Il faut préciser que Blatter n’était alors que chef d’atelier pour J. Aurèle Bigonesse.

Décès et postérité

Robert Blatter prend finalement sa retraite en 1973.

Celui-ci a vécu au 65, rue Aberdeen, de 1944 à 1994. Son ancienne résidence fait partie d’un ensemble de quatre bâtiments construits entre 1858 et 1860, érigés par l’entrepreneur Joseph Archer. Le regroupement de ces demeures cossues portait d’ailleurs le nom de Terrasse Richmond Square, qui ressemblent fort peu aux maisons qu’il créait pour les autres.

Ce serait la plus ancienne terrasse du quartier Montcalm.

Robert Blatter donne très peu d’entrevues durant sa vie. Robert Blatter meurt à l’âge de 99 ans, le 2 juin 1998.

Cette absence dans l’œil du public a pu faire en sorte d’occulter sa mémoire, mais son importance pour l’architecture au Québec n’est pas en débat, son style étant parfois même comparé à celui de Le Corbusier.

Même si certaines de ses créations ont été détruites ou altérées, il demeure que le nom de Robert Blatter est intimement lié au paysage architectural de Québec.

Une section du site de la Ville de Québec rassemble la liste des plaques Ici vécut.

La fiche de celle de Robert Blatter contient une capsule sonore d’Agathe Chiasson-Leblanc, consultante en patrimoine.

Sources:

Biographical Dictionary of Architects in Canada, «Blatter, Robert».

Chiasson-Leblanc, Agathe, Vision d’espaces modernes : l’architecture résidentielle de Robert Blatter, 1929-1957, [mémoire de maîtrise], Université Laval, 2005.

Laferrière, Michèle, «La révolution Blatter», Le Soleil, 11 janvier 2008.

Rompré, Danielle, «Robert Blatter: un des initiateurs de l’architecture moderne au Québec», Continuité, no 39, printemps 1988.

Ville de Québec, «780, Grande Allée Ouest»; «Aile B de l’hôpital Saint-François d’Assise»; «Centre de l’Immaculée»; «Centre de réadaptation François Charron»; «Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL)»; «Centre Louis-Jolliet»; «Colisée»; «Commission scolaire les Découvreurs»; «École Cardinal-Roy»; «Édifice la Solidarité»; «Église Saint-Louis-de-France»; «Maison généralice des Soeurs de la Charité de Québec»; «Maison Georges-Émile-Bourdon»; «Maison Henri-Bélanger»; «Maison Kerhulu»; «Robert Blatter»; «Terrasse Richmond Square»; Répertoire du patrimoine bâti.

Ville de Québec, «Colisée de Québec», Expocité

 

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