Dans la Bible — Genèse 19, verset 26 —, la femme de Loth est transformée en statue de sel pour avoir désobéi et regardé en arrière dans sa fuite, lors de la destruction de la ville de Sodome sous la colère de Dieu.
Dimanche à Sodome : la femme de Loth
Dans la Bible — Genèse 19, verset 26 —, la femme de Loth est transformée en statue de sel pour avoir désobéi et regardé en arrière dans sa fuite, lors de la destruction de la ville de Sodome sous la colère de Dieu.
Cette femme, figure anonyme de l’Ancien Testament, sévèrement châtiée pour avoir osé défier le Tout-Puissant, se prénomme Édith dans le texte de l’auteur canadien Jordan Tannahill. Elle représente le pilier, le pivot central, la clé de voûte de cette œuvre percutante pour laquelle le dramaturge a notamment remporté, en 2018, le Prix littéraire du Gouverneur général, dans la catégorie théâtre de langue anglaise.
Une scénographie assurée
Tout frôle la perfection dans cette production de la compagnie théâtrale Les Écornifleuses. L’orchestration de Jocelyn Pelletier dénote une compréhension intime de l’œuvre de Tannahill. Elle révèle une recherche formelle en symbiose totale avec le propos, qui se traduit par une écriture scénique dont le résultat démultiplie l’impact du récit dans sa trajectoire vers la salle. Sa direction de jeu efficace et chirurgicale qui se fonde sur une économie cinétique et fait alterner des passages au ralenti selon la perspective mise en relief est tout simplement saisissante.
La pièce débute par l’introduction des deux anges guerriers de la Genèse dont la gestuelle incisive, la voix amplifiée et le costume militaire qui rappelle celui de la Gestapo laissent présager le pire. D’emblée, l’atmosphère créée par l’appareillage scénographique conçu par l’artiste visuel Jean-François Labbé dresse la table pour une journée dissonante. Labbé signe également les éclairages dont les couleurs tranchées rivalisent d’audace avec l’environnement sonore redoutablement infernal d’Yves Dubois. Nul besoin de connaître l’histoire de la destruction de Sodome et Gomorrhe, puisque, en guise de préambule, les anges exterminateurs citent les versets de la Bible s’y rapportant.
Comme une apparition
À la fin du prologue, au moment où, représenté sur scène par un immense lustre de cristal qui surplombe le plateau, Dieu foudroie de son courroux la ville et ses habitants, la femme de Loth, Édith (Sophie Dion), surgit d’une sorte de roche qui l’emprisonne. Le costume (Laurie Foster) du personnage est impressionnant et profondément troublant comme si un arrêt sur image avait été effectué au moment de la pétrification de la fautive.
Édith devient la narratrice du récit qui amalgame le mythe et la réalité, qui rapproche l’univers biblique sur lequel est érigé le christianisme des événements qui font rage dans le monde contemporain. Les références savamment imbriquées les unes dans les autres ne sont pas sans rappeler le conflit qui sévit au Moyen-Orient, cet espace géographique étant subtilement suggéré par les teintes ocre et turquoise de la lumière. Mais plus encore, c’est le regard féminin et féministe que la protagoniste porte sur la situation qui colore le texte pour en exhaler toute la force tragique et absurde.
Une interprétation impeccable
Une des grandes qualités de cette production repose sur le jeu. Sophie Dion accomplit un tour de force dans le personnage d’Édith. Immobile comme un phare au milieu de la tempête, aucune partie visible de son corps ne bouge, hormis sa bouche qui raconte les faits, articule l’agitation, exhale la colère et propulse la douleur. Même les muscles de son visage semblent figés dans la pierre. Sa voix magnifie sa présence. Ses mots, intensifiés par la vibration des sonorités ambiantes, viennent régulièrement heurter la poitrine des spectateurs.
Loth (Éric LeBlanc), l’époux d’Édith, Sahrah (Joanie Lehoux), sa fille, Isaac (Vincent Michaud), son neveu, ainsi que les anges-soldats, Chris (Rapahël Posadas) et Derek (William Savoie) contribuent à la grandeur du personnage principal. Tous les interprètes semblent totalement investis dans leur rôle et ils nous entraînent dans leur sillage. L’action se concrétise en peu de gestes, lesquels sont extrêmement signifiants dans le contexte de l’horreur en ébullition.
Dimanche à Sodome est une œuvre dramatique pénétrante à laquelle la traduction d’Olivier Sylvestre rend tout à fait justice. Sa transposition scénique par Jocelyn Pelletier et l’équipe de production des Écornifleuses se déploie telle une envolée cinglante qui enveloppe le public dès l’amorce des premiers mots. Touché, remué, ébranlé, le spectateur ne ressort pas indemne de cette expérience théâtrale.
La pièce Dimanche à Sodome est présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 23 mars 2024. Les billets sont en vente à cette adresse : https://theatreperiscope.qc.ca/spectacle/dimanche-a-sodome/
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2, rue Crémazie Est, Québec (Québec), G1R 2V2
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