On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué l'histoire de la ville. Le nom de Gabrielle Roy (1909-1983) résonne à Québec depuis plusieurs semaines, alors que la bibliothèque portant son nom rouvrira enfin ses portes vendredi prochain.
Ici vécut : Gabrielle Roy, au 135, Grande Allée Ouest
On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué l’histoire de la ville. Le nom de Gabrielle Roy (1909-1983) résonne à Québec depuis plusieurs semaines, alors que la bibliothèque portant son nom rouvrira enfin ses portes vendredi prochain.
La bibliothèque Gabrielle-Roy, fermée depuis 2019 pour des travaux d’envergure, devrait de nouveau accueillir la population dès le 1er mars, malgré les menaces de grève qui planent.
Construite en 1983, année du décès de la grande écrivaine, la nouvelle bibliothèque du quartier Saint-Roch portait d’abord le nom de Bibliothèque centrale. Deux ans plus tard, en 1985, le nom de l’écrivaine d’origine franco-manitobaine allait lui être associé.
Profitons d’ailleurs de cet événement pour revenir sur la vie de cette femme de lettres qui a passé les 30 dernières années de sa vie dans le quartier Montcalm.
Établissement de la famille au Manitoba
Gabrielle Roy (née Marie-Rose-Emma-Gabrielle) voit le jour le 22 mars 1909 à Saint-Boniface, quartier francophone de la capitale manitobaine Winnipeg.
Ses deux parents, Léon Roy et Mélina Landry, étaient arrivés du Québec à la fin du 19e siècle. Léon a d’abord acquis une concession dans une région dite de « la montagne Pembina » en 1883. Il marie Mélina Landry en 1886. Cette jeune fille alors âgée de 19 ans était arrivée avec sa famille en provenance de Joliette quelques années auparavant.
Après leur mariage, Léon Roy se lance dans le commerce et s’implique en politique pour le Parti libéral. Au moment de l’arrivée au pouvoir à Ottawa du libéral Wilfrid Laurier, en 1896, le père de l’écrivaine devient fonctionnaire responsable de l’accueil de nouveaux arrivants à l’Immigration Hall de Winnipeg. En 1897, il s’installe à Saint-Boniface avec son épouse et leurs cinq premiers enfants.
Cinq autres enfants naîtront de cette union, dont Gabrielle, la plus jeune de la famille. Celle-ci grandit dans la maison de la rue Deschambault construite par son père, dans un nouveau quartier de Saint-Boniface.
La jeune Gabrielle aurait vécu une enfance assez solitaire, alors que son père doit s’absenter souvent pour le travail. Sa mère s’occupe cependant beaucoup d’elle.
En 1915, Gabrielle Roy rentre à l’école à l’académie Saint-Joseph, alors dirigée par les Soeurs des Saints-Noms de Jésus et de Marie. L’année suivante, le gouvernement provincial manitobain impose l’anglais comme langue unique d’enseignement dans les écoles publiques du Manitoba. Ainsi, la jeune Gabrielle étudie pendant 12 ans dans un système anglophone. Elle découvre ainsi les grands auteurs britanniques, mais elle réussit quand même à en apprendre sur la langue française et la religion catholique.
Après des débuts difficiles, elle devient l’une des meilleures élèves de sa classe.
Vie d’institutrice et débuts comme écrivaine
Après avoir complété sa 12e année, Gabrielle Roy s’inscrit à la Provincial Normal School de Winnipeg en 1928, afin de devenir enseignante. Au printemps 1929, quelques mois avant l’obtention de son brevet, elle part déjà enseigner à Marchand, un village isolé dans l’est de la province. Elle n’y reste cependant pas longtemps, puisqu’elle s’installe, lors de la rentrée scolaire de l’automne 1929, dans une école rurale de Cardinal. Cet établissement se trouve dans la même région où ses parents se sont mariés et où quelques oncles et tantes demeurent toujours.
Finalement, à la rentrée de 1930, elle part enseigner à l’institut collégial Provencher, une école de garçons. Elle enseigne aux élèves de première année, en anglais, pendant sept ans.
Pendant cette même période, elle se découvre différentes passions, dont l’écriture et le théâtre. Gabrielle Roy réussit à faire paraître des textes, en anglais et en français, dans des périodiques locaux et nationaux.
Mais elle est alors surtout passionnée par le théâtre. Gabrielle Roy suit des cours d’art dramatique et se promène avec des troupes de comédiens à travers le Manitoba français. Elle joue aussi des rôles dans les productions du Cercle Molière. En 1934 et 1936, la troupe se rend d’ailleurs à Ottawa, dans le cadre du Festival national d’art dramatique.
Elle joue aussi en anglais, avec le Winnipeg Little Theatre. Ses succès locaux lui font rêver à une vie dans ce domaine artistique. En 1937, Gabrielle Roy occupe pendant l’été un emploi temporaire d’institutrice à La Petite-Poule-d’Eau, à 500 kilomètres au nord de la capitale manitobaine. Ce choix lui permet surtout d’accumuler des économies pour parfaire sa formation artistique en Europe.
Paris et Londres, puis Montréal
Dès l’automne 1937, Gabrielle Roy part pour Paris. Elle a cependant des difficultés à s’intégrer dans la capitale française. Après quelques semaines, elle se dirige vers Londres, où se trouvent quelques amis.
Là -bas, elle s’inscrit à la Guildhall School of Music and Drama. Elle plonge aussi dans la vie culturelle de la capitale britannique, en visitant les musées.
La jeune femme fait aussi plusieurs rencontres, dont celle d’un Canadien d’origine ukrainienne, qui sera son premier amoureux. La relation avec cet homme ne dure pas très longtemps, car elle craint de s’attacher, mais possiblement aussi parce que ce Stephen est membre d’un réseau de nationalistes ukrainiens, alors en lutte contre les Soviétiques et Staline. Dans le contexte, il aurait pu être vu comme un allié nazi.
Sa vie londonienne lui permet toutefois de découvrir son véritable talent : celui d’écrivaine. Elle avait fini par reconnaître que son talent de comédienne n’était pas suffisant et elle se met officiellement à l’écriture en 1938. Également, à partir de ce moment, elle n’écrit qu’en français.
Elle écrit d’abord de courts textes, dont certains seront publiés dans un journal de Saint-Boniface. Mais son choix de se diriger vers l’écriture sera confirmé lorsqu’un magazine parisien publie trois de ses articles.
Après un bref retour en France, elle quitte l’Europe avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, en 1939. Plutôt que de retourner au Manitoba, Gabrielle Roy s’installe à Montréal.
Là -bas, elle travaille comme nouvelliste et journaliste à la pige. Elle réussit, ici et là , à faire publier ses textes dans différents périodiques. Elle finit aussi par tenir une chronique régulière dans la page féminine de l’hebdomadaire Le Jour. Celui-ci était alors dirigé par Jean-Charles Harvey.
Ses nouvelles littéraires sont également publiées dans la Revue moderne. Son travail de journaliste se fait cependant surtout remarquer à travers des séries de reportages qui paraissent dans Le Bulletin des agriculteurs. Elle raconte le quotidien de différentes populations vivant au Québec, mais aussi dans l’Ouest canadien.
Bonheur d’occasion
Son travail de collaboratrice au Bulletin des agriculteurs lui permet aussi de se consacrer à l’écriture de son premier roman : Bonheur d’occasion. Celui-ci est publié en 1945.
L’intrigue se situe dans le quartier ouvrier de Saint-Henri, à Montréal, durant l’hiver et le printemps 1940. On y suit la famille Lacasse, tout en découvrant la vie difficile et la misère vécue par les classes populaires qui font face au chômage et pour qui la guerre représentent une occasion de s’en sortir.
Le succès critique et populaire est au rendez-vous pour ce premier ouvrage. Il est même publié à New York en 1947 et ses droits d’adaptation au cinéma sont vendus à Hollywood. Les droits seront cependant revendus à un producteur canadien et le film ne sortira qu’en 1983.
Gabrielle Roy se mérite également le prix Femina en 1947, ce qui fait de Bonheur d’occasion le premier roman canadien à se mériter un prix majeur sur la scène littéraire française.
Rencontre du mari
Au printemps 1947, alors que sa popularité est à son zénith, Gabrielle Roy part se ressourcer dans son Manitoba natal, avec ses sÅ“urs. C’est à ce moment qu’elle fait la rencontre de Marcel Carbotte, un médecin de qui elle tombe amoureuse. Les deux tourtereaux se marient trois mois après leur rencontre et s’envolent vers la France, où Carbotte se spécialisera en gynécologie.
La vie sociale de Gabrielle Roy est d’abord bien remplie, mais elle doit s’éloigner de Paris pour se concentrer sur l’écriture de son deuxième ouvrage. Inspirée par le travail qu’elle occupait en 1937, elle publie en 1950 La Petite Poule d’Eau. Du côté francophone, l’accueil est plutôt froid, alors que l’Å“uvre est célébrée du côté de Toronto.
En 1950, le couple revient s’établir dans le secteur de LaSalle, à Montréal. Mais Gabrielle Roy s’isole régulièrement pour l’écriture, allant jusqu’en Gaspésie. Entretemps, son mari n’obtient pas de poste intéressant dans la métropole, mais il reçoit une offre de l’hôpital Saint-Sacrement, à Québec.
30 ans à Québec
En 1952, le couple s’installe donc à Québec, dans un appartement du Château Saint-Louis, sur la Grande Allée. Construit en 1925 et conçu par Harold Fetherstonhaugh, il s’agissait de l’immeuble à plus haute densité du quartier Montcalm. Gabrielle Roy restera là jusqu’à la fin de sa vie.
Même si elle continue de voyager un peu partout en France, aux États-Unis et au Canada, elle fuit de plus en plus les mondanités et se montre bien peu en public, en plus de refuser les entrevues. Elle entretient quelques relations privées, sans plus. Elle partage sa vie entre son appartement à Québec et sa propriété de Petite-Rivière-Saint-François, dans Charlevoix, acquise en 1957. L’écrivaine y passe tous ses étés pour écrire, afin de profiter du fleuve et des montagnes.
Gabrielle Roy intervient assez peu dans le débat public, si ce n’est pour critiquer le discours du général de Gaulle en 1967, au cours duquel il avait prononcé son fameux «Vive le Québec libre!».
Elle se consacrait alors à l’écriture de ses dernières Å“uvres. Gabrielle Roy publie d’abord Alexandre Chênevert, roman qui suit un employé de banque. En 1955, elle fait ensuite paraître Rue Deschambault, qui rappelle la rue de son enfance et qui suit l’histoire de Christine, alter ego littéraire de l’écrivaine. Ce personnage revient en 1966 dans La route d’Altamont.
D’autres Å“uvres suivent : La montagne secrète (1961), La rivière sans repos (1970), Cet été qui chantait (1972), Un jardin au bout du monde (1975).
Fin de vie
Elle termine sa carrière (et sa vie) avec des livres à saveur davantage autobiographique. En 1977, Ces enfants de ma vie est un livre revenant sur son passé d’enseignante au Manitoba. Un an plus tard, Fragiles Lumières de la terre lui permet un retour sur ses reportages et essais publiés de 1942 à 1970.
Finalement, La Détresse et l’Enchantement lui donne l’occasion de revenir sur l’ensemble de sa vie. Gabrielle Roy a commencé l’écriture de ce livre en 1976, alors qu’elle savait que sa mort approchait.
« Gabrielle Roy y entreprend de raconter toute sa vie, sur un mode qui tient moins du récit historique que de la récréation intérieure de son passé. Évoquant les êtres et les événements qui l’ont marquée, les peines, les joies, les rêves qui l’ont habitée, elle se peint elle-même telle qu’elle a été et telle qu’elle a voulu être, comme s’il s’agissait à la fois de dresser le bilan de sa vie et de se préparer à la mort », peut-on lire dans le Dictionnaire biographique du Canada.
Elle n’a pas le temps de compléter toute cette oeuvre, qui sera publiée à titre posthume en deux ouvrages : La Détresse et l’Enchantement (1984) et Le Temps qui m’a manqué (1997).
Le 13 mai 1983, une crise cardiaque emporte Gabrielle Roy, qui meurt à l’Hôtel-Dieu de Québec. Ses cendres se trouvent dans l’ouest de Québec, au parc commémoratif La Souvenance.
Postérité
Encore aujourd’hui, Gabrielle Roy représente un nom incontournable dans l’histoire de la littérature québécoise et canadienne. Elle s’est méritée une pléthore de récompenses : trois prix du gouverneur général du Canada, prix Duvernay de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, prix David du gouvernement du Québec, prix Molson du Conseil des arts du Canada.
Elle a également reçu un doctorat honoris causa de l’université Laval, en plus de devenir compagnon de l’Ordre du Canada.
Son nom est également présent dans la toponymie québécoise. En plus de la bibliothèque centrale de Québec, plusieurs rues et parcs portent le nom de Gabrielle Roy. À Petite-Rivière-Saint-François, où elle avait une résidence, un mont a même été nommé en son honneur.
Vous pourrez avoir une pensée pour cette importante écrivaine lorsque vous pourrez enfin retourner dans la bibliothèque portant son nom.
Une section du site de la Ville de Québec rassemble la liste des plaques Ici vécut.
Sources
BAIRD, Daniel, «Gabrielle Roy», L’Encyclopédie canadienne, 2008.
Commission de toponymie du Québec, «Gabrielle Roy».
LEMOINE, Réjean, «La bibliothèque Gabrielle-Roy partie 2 : La relance du projet de bibliothèque centrale », Monsaintroch.com, 15 janvier 2013.
RICARD, François, «Roy, Gabrielle», Dictionnaire biographique du Canada, 2005.
Ville de Québec, « Fiche d’un bâtiment patrimonial – Les appartements Château Saint-Louis », Répertoire du patrimoine bâti.
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